Bing Bang Boum marque le grand retour des indispensables Têtes Raides, avec leur (bas)Rock de combat, furieux et fantaisiste, bouleversé et bouleversant : célébrant l’importance cruciale de la poésie en notre époque de chaos, il fait autant danser que pleurer, et se lever pour combattre.
« A nous les pantins détraqués / Que restera t-il de l’homme qui mangea tout l’homme ? / Dans un sursis on pourra se payer / Un flash de poésie en post-scriptum » : une ligne parmi tant d’autres, souvent très belles, parfois sublimes, prise parmi les 12 chansons du nouveau Têtes Raides… Enfin 11, car Yaourt étant chanté en « yaourt » (est-ce que les gens aujourd’hui se souviennent que l’on qualifiait de « yaourt » la langue bizarre utilisée par les groupes de notre enfance quand ils reprenaient des chansons rock anglo-saxonnes sans parler un traître mot d’anglais ?), il est difficile d’en extraire des mots pour illustrer notre propos. Alors cette ligne, parmi toutes les autres, illustre littéralement ce que Christian Olivier veut dire quand il parle du grand « Bing », du grand « Bang », du grand « Boum » : la seule issue qui reste face au chaos qui vient, c’est LA POESIE. Dans cette même chanson, Face à Face, l’une des plus belles de Bing Bang Boum, le nouvel album de Têtes Raides après sept ans de silence – d’arrêt aussi, du fait des aventures en solo du leader de la bande, Christian Olivier -, il y a aussi un refrain qui dit : « De côté à côte en face à face / Toutes ces raisons qui nous dépassent / A trop vouloir trouver le sens / On en perd le pas de la danse ».
Ce qui signifie aussi que, bien heureusement, Olivier n’a aucun message à nous asséner – si ce n’est, quand même, de ne pas haïr l’Autre, celui qui est différent, et au contraire de l’aimer, parce que ça a toujours été le message de Têtes Raides (rappelez-vous de l’Iditenté, si fier de son refrain inusable : « Que Paris est beau quand chantent les oiseaux / que Paris est laid quand il se croit français » qu’on devrait tous écouter et chanter tous les matins tant que Le Pen et Zemmour sont candidats à la Présidence). Ou plus exactement, qu’Olivier n’a aucune explication à nous offrir. Et qu’avec ses Têtes Raides, il est avant tout revenu pour nous faire danser. Et nous faire rêver. Et nous aider à nous relever.
Les Terriens, en 2014, qui n’était pas le meilleur disque des Têtes Raides (ça, ça serait sans doute le Bout du Toit, datant déjà de 1996), traduisait une volonté – passagère – de caresser le public dans le sens du poil avec une musique plus directe, plus rock / pop peut-être, en tout cas moins brutale et écorchée. Après ces sept ans de réflexion, le groupe, l’un des meilleurs de la scène française, aussi populaire – il remplit les salles – qu’incompris – personne n’arrive vraiment à faire sens de ce mélange foutraque de punk rock, de ska, de musique de cirque, de valse musette et de chanson française –, nous revient avec ce qui pourrait bien constituer l’une de ses propositions d’album les plus décalées, les moins immédiates, et pourtant les plus réussies… Parfaitement équilibrée entre l’importance des mots et la force irrésistible de la musique.
Avec l’aide, à la production, de la précieuse alliée que s’est avérée Edith Fanbuena, Olivier et sa fine équipe nous ont concocté un album à la fois très rock, loin des racines « bal musette » de leur succès, mais également terriblement indéfinissable : à la première écoute, il nous est revenu des réminiscences du Tom Waits de Rain Dogs, c’est dire le niveau où nous plaçons Bing Bang Boum. Tom Waits, bien sûr à cause de la dégaine de poète ironique et sans illusions – mais, bien entendu, incurablement idéaliste – de Christian Olivier ; mais aussi à cause de cette musique vaguement fracassée, parfois magnifiquement bancale, qui claudique au bord du gouffre, mais arrive régulièrement à extirper du chaos grinçant des envolées de pur romantisme. Une musique qui déroute (un peu), fait peur (de temps en temps), mais nous fait sentir tellement plus humains (quasiment tout le temps) : oui, depuis l’ouverture à la fois menaçante et exaltante de En avant, jusqu’à la conclusion, l’adaptation d’un poème de Paul Siméon, formidablement libérateur, Levez-vous du Tombeau, Bing Bang Boum se révèle un grand album de Rock de combat, dans le sens exact que The Clash envisageait de London Calling à Sandinista. Un disque qui élève (Liberté, Haut les Mains, avec ces phrases bouleversantes : « Tiens, voilà que nos corps se remettent à vibrer / tiens, voilà que le ciel se remet à cieler / tiens, voilà que soudain tout peut arriver / tiens, voilà que nos mains se remettent à se serrer »), un disque qui cultive en nous le goût de l’amour, du rire et de la résistance. Peut-être bien l’un des albums les plus indispensables de cette année.
« On va tous y passer ! Mais on aura dansé ! On va tous y passer ! Mais on ne va pas laisser s’éteindre la LIBERTE ! »
Eric Debarnot