[interview] Ora the Molecule : “Nous faisons tous partie d’un même gigantesque organisme »

Après un premier album d’électro-mystico-pop très réussi, Human Safari, Nora Schjelderup, alias Ora the Molecule, se confie sur comment elle compose, l’importance du partage dans la musique et l’importance de la musique dans la vie.

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© Jonathan Vivaas

Benzine : Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots à propos du groupe ?

Nora Schjelderup : J’essaie toujours de recruter mes amis les plus proches. Quand je vivais à Los Angeles, j’ai convaincu mon co-loc Petie de jouer des claviers et de faire des voix et quand je suis revenue en Europe, j’ai convaincu mon ami Sju de jouer de la batterie avec nous. Ça a toujours fonctionné comme ça — faire de la musique demande tellement de travail et rapporte si peu que la seule chose qui fait que ça vaut le coup de continuer est de prendre du bon temps avec ses meilleurs potes. Il y a toujours un million de raisons d’abandonner, mais si tu es avec des amis, ça te donne l’énergie nécessaire pour continuer à avancer et à faire des efforts. C’est vraiment le remède miracle pour y arriver. Pour moi, le plus important est que la personne avec qui tu joues soit un bon ami, plutôt qu’elle joue bien d’un instrument. Tout le monde peut apprendre à jouer d’un instrument, mais tu ne vas pas partir avec tout le monde en tournée dans un van moite qui sent la transpiration. Tu dois aimer la compagnie des autres.

Sur votre site, vous dîtes que Jan Blumentrath était votre « partenaire musical ». Qu’entendez-vous par là ?

Jan Blumentrath a contribué à mettre en forme l’album en le produisant avec moi. Il s’est approprié mes chansons et a ajouté les bons ingrédients, en termes de production et d’arrangements.

Toujours sur votre site, vous dîtes avoir travaillé comme “ghost songwriter”. J’ai toujours trouvé intéressante l’idée d’être un ghostwriter…

Ce n’était absolument pas glamour. La plupart du temps, ça se passait dans des studios chauds, moites, sombres et surpeuplés. Ils avaient une formule pour ce qu’ils voulaient produire. Je n’avais pas la sensation d’avoir une quelconque liberté avec les chansons, et c’est ce qui m’a fait arrêter le boulot. Mais, d’une certain façon, je suis contente de l’avoir fait. Autrement, je n’aurai pas été poussée à apprendre la production toute seule. C’était la meilleure partie du boulot, rencontrer d’autres producteurs et apprendre en les regardant travailler.

Pendant que vous travailliez pour Warner, écriviez-vous aussi vos chansons ? Quand avez-vous commencé à écrire ?

Oui, absolument. J’ai toujours écrit des chansons, depuis que j’ai 9 ans. Et avant, j’étais toujours en train de me chanter des mélodies quand j’allais à la maternelle. Les mélodies ont toujours été un réconfort pour moi. Dans la musique, il y a des choses qui demandent beaucoup d’efforts. Pas les mélodies. Elles me laissent venir à elles.

Comment travaillez-vous avec le reste du groupe ? 

Sur Human Safari, la plus grande partie des chansons étaient écrites quand le groupe a été créé. Mais il y a des exceptions, comme Shadow Twin que j’ai écrite à Stockholm avec Sju et notre ami Jonathan. J’ai écrit Helicopter en une matinée, et Jan l’a produite immédiatement. Mais nous n’avons jamais utilisé de mail pour composer.
Les contributions de chacun varient d’une chanson à l’autre. Jan s’est essentiellement occupé de l’instrumentation, et j’ai fait les paroles et les mélodies. Souvent, je jouais des chansons à la guitare pour Jan et il la produisait avec les arrangements. Il a vraiment une bonne oreille pour entendre le potentiel de la chanson. C’est vraiment un producteur génial.

Sur Human Safari, vous avez réussi à faire une musique à la fois groovy et new age. Est-ce le résultat que vous vouliez atteindre ?

C’est une question étrange. Je n’imaginais pas du tout ce que les chansons allaient donner. Chaque chanson s’est développée de manière spécifique et elles ont toutes vécu leur propre vie, en lien avec moi. Mais c’est ce que je ressens en tant que songwriter. Les chansons ont leur propre identité. Je ne pourrai absolument pas imaginer une façon unique de sonner pour tout un album. J’ai toujours du mal, même maintenant pour le prochain album. Les chansons apparaissent, c’est tout.

Nous vivons une époque assez chaotique. Tout a l’air de s’écrouler. Quel rôle voyez-vous pour la musique dans ce chaos ?

J’espère que la musique peut réconforter les gens, leur faire comprendre qu’ils ne sont pas seuls dans leurs pensées. Je partage mes expériences personnelles avec l’espoir de toucher des personnes qui pourraient ressentir la même chose. Oui, tout est chaotique, inquiétant, maintenant mais c’est pour cela qu’il faut être fort. Et quelques fois un ami musical peut aider à ça !

Je pose la question aussi parce que j’ai lu que vous aviez le sentiment d’être une “molécule”, la plus petite partie de matière, une partie d’un tout. Pourquoi est-ce si important pour vous ? Être un individu signifie-t-il forcément faire partie d’un tout ?

Oui. J’aime penser que nous occupons le corps que nous occupons par hasard et que chacun pourrait être tout le monde d’une certaine façon. Je me sens connectée avec les gens autour de moi. Quelques fois je ressens exactement ce que je crois qu’ils ressentent. J’imagine que cette idée vient de la constante crise existentielle dans laquelle je suis. J’ai des difficultés à séparer ce que les autres ressentent de ce que je ressens. Cela me fait penser que nous sommes tous connectés et que nous formons un gigantesque organisme, qui s‘appelle le Monde.

“Loving the creator inside the creature”, sur le morceau “Creator” est mystique. Très  profond (et même temps très joyeux).

J’ai lu cette même phrase dans la Bible et dans le Coran et ça m’a vraiment frappé. La chanson est mélancolique et optimiste. Le refrain m’est venu quasiment comme un cri de soulagement. Je me souviens seulement que je chantais dans les aigus en jouant les mêmes accords à la guitare. Au début, je n’avais pas de mélodie. Je criais juste la mélodie. Mais j’avais écrit ce petit texte sur un morceau de papier que j’ai retrouvé par terre en faisant le ménage, un jour, et ça a marché parfaitement avec la mélodie.

Vous ne dessinez aussi. De beaux dessins en noir et blanc. La musique est-elle plus importante que le dessin ou pas ? 

Pour moi, la musique a plus d’effets que les autres arts. J’ai étudié la communication visuelle, cette année, pendant le confinement, comme une façon d’explorer le dessin et de m’améliorer. Mais j’ai fini par décider d’arrêter et de me remettre à la musique. C’est ce que j’aime vraiment faire. Je pense que je pourrais dire des choses en dessinant, mais je manque d’entraînement et cela limite tellement ce que mon stylo peut faire.

Vous avez aussi fait l’artwork pour des morceaux précédents du groupe ? N’avez-vous pas eu envie de faire celui de l’album ? Comment est venue l’idée de demander à Lola Favre ?

J’ai surtout fait l’artwork des précédents single parce que nous n’avions pas l’argent pour payer qui que ce soit. Alors, je l’ai fait moi-même. Quant à Lola Favre, j’ai toujours été une grande fan de son art et quand nous avons été signés et que le label nous a dit que nous avions un budget pour l’artwork de l’album, j’ai immédiatement voulu lui demander. C’est très excitant d’avoir une autre perspective, une autre interprétation d’un autre artiste. J’adore ce qu’elle a fait.

Vous êtes en tournée maintenant ? Quels sont les projets du groupe ?

Je suis très impatiente de faire des tournées de nouveau. La pandémie a été un crêve coeur, un énorme déchirement… J’espère pouvoir présenter l’album en tournée dès que possible. Mais cela n’arrivera probablement pas avant 2022 ! En attendant, je travaille sur le second album du groupe.

D’où tirez-vous votre inspiration ? Musique ? Films ? Livres ? Quels sont les quelques groupes et albums dont vous pensez qu’ils doivent être écoutés ? Et qui vous ont influencée ?

J’adore les histoire de Tove Jansson [ndlr : peintre, illustratrice, écrivaine finlandaise surtout connue pour avoir créé les Moumines, qui m’a inspiré tout au long de ma vie. Des artistes comme Bjork ou Suzanne Vega m’inspire aussi. Leur capacité à capturer un sentiment et le restituer vraiment par la musique m’a toujours fascinée. Si on prend ces cinq dernières années, le groupe norvégien qui s’appelle Building Instruments (https://soundcloud.com/building-instrument) est probablement celui qui m’a inspiré le plus. Et puis je pourrai mentionner Bon Voyage Organisation, un projet français que je ne me lasse pas d’écouter. Et aussi mon ami Olefonken est aussi incroyable. Si vous ne le connaissez pas, écoutez sa musique ! Il est si précautionneux dans sa production, dans le choix des sons… c’est un délice pour les oreilles.

Propos recueillis par Alain Marciano en septembre 2021

Ora the Molecule – Human Safari : encore du nouveau sous le soleil de l’électro-pop !