Patrick Imbert adapte en 2D Le sommet des Dieux, du mangaka Jiro Taniguchi. Une claque visuelle et narrative… l’ambition réussie d’un film sondant à travers l’alpinisme les obsessions intérieures qui nous animent.
Fukamachi, photoreporter, travaille pour un magazine de tourisme. Son rédacteur est satisfait ; il fait de belles images. Mais Fukamachi s’ennuie. Un soir, dans une ruelle de Katmandou, il croit voir Habu Jôji, un grimpeur conquérant que le monde a oublié. Il tient à sa main un vieil appareil photo, peut être celui qui recèle la pellicule de George Mallory, disparu lors de son ascension de l’Everest en 1924. Les photos peuvent prouver que l’alpiniste a atteint le toit du monde. Fukamachi se lance à la recherche d’Habu pour récupérer cet appareil, point de départ de l’histoire. L’intérêt du journaliste pour le personnage obsessionnel et meurtri d’Habu dépasse vite l’appât du scoop.
Le sommet des Dieux retrace donc par plusieurs strates temporelles la vie d’Habu, à travers les recherches du journaliste. Son désir de réussite, son envie de grimper toujours plus haut. L’histoire est tirée du manga éponyme de Jiro Taniguchi, auteur de Quartier Lointain et L’Homme qui marche. Le réalisateur, Patrick Imbert, connu pour des films plutôt destinés aux enfants, Le Grand méchant renard et autres contes et Ernest et Célestine, signe ici une animation pour adulte, objet encore trop méconnu pour les non-initiés.
Les images sont sensibles et hypnotiques. Le réalisateur donne du son aux montagnes, finissant, avec la musique d’Amine Bouahafa, par nous envelopper totalement. Ainsi, la séquence des hallucinations de Fukamachi, manquant d’oxygène en pleine ascension, s’inscrit en nous à chaque coup de crayon.
La ville semble pourrie de frustration, de rêves stagnants que des hommes comme Habu ne peuvent supporter. L’urbanité, décor morose que les gens traversent en regardant le sol, s’oppose aux plans de montagnes, de plus en plus présentes au fil de l’histoire. Les montagnes sont dangereuses, vertigineuses, fascinantes… mais il n’est pas nécessaire d’être un amoureux de l’alpinisme pour apprécier Le Sommet des Dieux. Car ce sont les portraits riches de ces hommes solitaires qui portent le film et l’envie de sonder leurs âmes. De comprendre pourquoi il leur faut grimper toujours plus jusqu’à parfois trouver la mort.
L’histoire est inspirée de faits historiques réels. Ainsi, le personnage de Hase Tsuneo, rival d’Habu, rappelle l’alpiniste Tsuneo Hasegawa et George Mallory appartient à la légende des montagnards disparus. Les images sont très réalistes mais ne tombent pas dans l’écueil d’une description technique de la grimpe. Le film accomplit la prouesse de condenser une histoire de cinq tomes en une heure et demie prenante, qui remue et arrache des larmes. À la vision du Sommet des Dieux, nous nous sentons vivants.
Tara Mollet