Cela fait depuis janvier dernier que nous l’attendons, ce passage de Birds on a Wire par l’Olympia, pour célébrer enfin sur scène leur formidable album Ramages, paru juste quelques jours avant le déclenchement de la pandémie.
L’Olympia en version sage – c’est-à-dire en configuration assise, malheureusement – est presque pleine ce soir, ce qui est évidemment une excellente nouvelle pour Birds on a Wire, qui le mérite…
20h15 : Rosemary Standley présente elle-même Sylvain Griotto auquel elle nous dit porter beaucoup d’estime. Du coup nos attentes sont hautes, mais sont rapidement déçues quand nous réalisons que le premier morceau qu’interprète le pianiste est une version déconstruite et jazzy de A Day in the Life. Bon, franchement, reprendre un hyper-classique de Beatles, ça force le spectateur à choisir entre deux plaisirs opposés, celui de reconnaître une mélodie inoubliable malgré qu’elle lui soit dissimulée, et celui de savourer la virtuosité du dissimulateur. En fait, on réalise que c’est là le principe du jeu auquel nous sommes conviés ce soir – qui se répètera plus tard avec le Por qué te vas de Jeanette, que Griotto nous demande d’ailleurs d’entrée de reconnaître, puis avec Life on Mars et Paint It Black. Avouons que le principe de ce petit jeu est sympathique, que le pianiste est un vrai virtuose, et les arabesques classiques ou baroques sous lesquelles Griotto cache des chansons universellement connues sont souvent impressionnantes, mais on a quand même le droit de trouver ça vain. Amusant mais vain.
21h05 : La scène est presque nue, juste habillée de rideaux évanescents qui descendent des cintres (et qui seront progressivement arrachés au fil de la soirée), avec deux chaises pour les deux membres de Birds on a Wire, et le petit harmonium de Rosemary. Pas de sonorisation visible, et les chanteuses ne portent pas de micros apparents, même si le son de leur voix sera parfaitement et très pertinemment amplifié. Dom est déjà assise avec son violoncelle, avec lequel elle construit et l’ambiance sonore des morceaux, et leurs rythmiques et leurs mélodies, à l’aide de boucles enregistrées magistralement utilisées tout au long du set. Rosemary pénètre peu à peu sur la scène, de manière assez théâtrale, ou en tout cas fascinante.
Et c’est parti pour une heure trois quart de quasi-perfection musicale (on surprendra une fois Dom grimaçant parce qu’elle se sera, on le suppose, plantée, mais on n’aura quant à nous rien remarqué de particulier) : la voix de Rosemary Standley est impressionnante, on le sait depuis les débuts de Moriarty, mais elle n’a sans doute jamais été aussi bien mise en valeur que par l’orchestration délicate, parfois minimale offerte par Dom la Nena ; et la précision et la légèreté du jeu de violoncelle lui confère un mélange exceptionnel de modestie et de sensibilité (on est, dieu merci, loin de la virtuosité tape-à-l’œil de la première partie !).
La setlist est largement construite sur le second album, Ramages, avec quelques incursions dans le premier album (en particulier le remarquable Duerme Negrito), dans le nouvel EP, Mascarade, sorti il y a quelques mois, et avec des interprétations notables de « classiques » du Rock, de Dylan, Springsteen et The Doors. Le concert démarre de manière particulièrement intimiste, peut-être pour permettre aux filles de trouver exactement leur point d’équilibre, ce qui aura pu ralentir l’adhésion de nombre de spectateurs à une musique qui est tout sauf spectaculaire : Birds on a Wire n’est jamais dans la démonstration de force, dans la virtuosité (on l’a déjà dit…), dans le déploiement d’une séduction facile – bref dans tout ce que le talent des deux interprètes leur permettrait – mais dans la recherche continuelle de la justesse émotionnelle… donc d’une certaine idée de la « grâce ».
C’est avec le formidable La Marelle, où le public se mettra pour la première fois à chanter, que le set atteint un plateau émotionnel, plateau sur lequel il restera jusqu’au bout. Même si la grande idée derrière Birds on a Wire est d’aller chercher tout autour de la planète, dans de nombreux genres musicaux, des sentiments humains profonds qui font écho à l’amour de la musique de Rosemary et Dom depuis leur enfance, on osera dire que c’est quand les deux artistes sont le plus proches de (ce qu’on imagine être) leurs racines que leur musique est la plus extraordinaire : tous les titres brésiliens ce soir seront sublimes (la Marelle, donc, mais aussi le sublime Cálice de Gilberto Gil et Chico Buarque, et Filhos de Gandhi), tandis que ce sont sur les morceaux aux connotations les plus américaines, comme Shake Sugaree ou Which Side Are You On?, que Rosemary sera la plus époustouflante.
Le set se clôt sur une version hallucinée, fantasmatique, du People Are Strange des Doors, mais le rappel permettra à Birds on a Wire de confirmer encore son excellence : le classique Wish You Were Here du Pink Floyd (que Dom raconte être joué tous les jours à la guitare électrique sur une place de Rome) ne surprend pas vraiment, mais avec le renfort de Sylvain au piano, de Lionel à l’accordéon, puis d’une danseuse turque, Rana, le reste sera impérial, partant pourtant encore plus dans tous les sens que le set lui-même. On débute par un morceau de Mozart – oh, la voix de Rosemary ! -, on enchaîne avec la reprise de Brel (Sur la Place) qu’une bonne partie du public peu familier avec Birds on a Wire attendait, on fait un petit tour par le folklore breton, on nous offre une cover émotionnellement très forte de The Ghost of Tom Joad de Springsteen, avant qu’une invitation à la fête sur une dernière célébration du séga, musique réunionnaise, fera que le public de l’Olympia quitte enfin ses sièges numérotés et se lève pour danser.
Ovation générale méritée, même si, autour de nous, on entend pas mal de commentaires de spectateurs qui ont trouvé ça « étrange » et ont visiblement eu du mal à adhérer à la démarche des filles. Car ce qui est évident – et infiniment rassurant en fait – avec Birds on a Wire, c’est qu’on est devant une approche réellement ambitieuse de la musique, en en renversant les barrières établies entre les genres – folklore, rock, chanson, classique… – pour mettre en valeur et le discours « politique » qui sous-tend beaucoup des musiques interprétées, et l’universalité de la grâce qu’atteignent parfois – ou régulièrement pour les plus grands – les artistes.
Cette singularité de Dom et Rosemary, alliée à leur sens de l’humour un peu moqueur, pourrait constituer un jour un frein à leur succès commercial (déjà conséquent), mais nous fait les aimer encore plus.
Photos et texte : Eric Debarnot