Avec le désir de réaliser une production « à l’ancienne », Sean Penn rate son coup, faisant de son Flag Day un film tantôt lourd, mièvre, maniéré… et pour tout dire, assez embarrassant. A oublier.
« Ni oubli, ni pardon » pouvait-on lire sur certains tee-shirts dans les soirées cannoises en mémoire de la fameuse projection de The Last Face en 2016 : c’est dire si les sourires narquois attendaient de pied ferme le nouveau film de Sean Penn, présenté en Compétition et peut-être comme un rachat par rapport au torrent de sarcasmes dont il fut l’objet. Certains seront probablement déçus de ne pas l’être assez : Flag Day est juste un mauvais film, sans plus. L’histoire d’un père toxique, englué dans le mensonge et incapable d’offrir aux siens une vie à sa modeste mesure, d’une l’Amérique des marges où la drogue et les habitations de fortune sont les repères d’une fuite sans fin n’est pas indigne en soi.
Certes, Sean Penn prend plaisir à se filmer plein cadre, et d’offrir le même traitement à sa fille pour un film de famille où l’on regarde les classes laborieuses comme au cours d’un safari qui chercherait le ton juste, dans des fugues qui convoquent par moment l’authenticité d’Into the Wild. Le film, lorsqu’il se pose, sur son dernier tiers, trouve une ligne d’équilibre plus convaincante, et donne idée de ce qu’aurait pu réussir le réalisateur. La tentative de réconciliation entre père et fille, dans une cohabitation constructive, élabore quelques pistes intéressantes : le journalisme pour l’une, les « affaires » pour l’autre, dans la lente illusion d’un possible retour de la confiance.
Mais c’est sans compter sur le désir impérieux de Sean Penn de faire un film « à l’ancienne », avec pellicule argentique, gros grain, photographie jaunie qui semble tout droit sortie des années 70 et écriture idoine. Les flash-backs en musique pullulent, l’explicite est de rigueur (du genre une chanson qui entonne « Now I’m older » après une ellipse temporelle), le montage souligne au karcher ce qui relevait déjà de l’évidence. Le désir de filmer dans la première partie à hauteur d’enfant malmené autorise ainsi à toutes les mièvreries d’usage, pour un défilé de larmes sur Chopin, clips sur des couchers de soleil dans une sorte de Terrence Malick du pauvre ou la redondance d’une image exploitant une enseigne de l’Amérique profonde. Ce maniérisme vintage désactive à peu près tout ce qui pouvait émerger sur le plan de l’émotion : on sent bien que le vécu de cette histoire interpelle, mais on le regarde à distance, avec un certain embarras. Une gêne d’autant plus prononcée lorsqu’on se dirige avec une conviction sans faille vers un final cathartique qui voudrait avoir l’intensité d’Un monde parfait de Clint Eastwood. Un film qui date de 1993, soit il y a près de trente ans, sachant que le cinéma que cherche à proposer un Sean Penn a à peu près un demi-siècle de retard – l’affiche en est un autre indice. Un réalisateur un peu paumé, mais visiblement toujours persuadé.
Sergent Pepper