Comme s’il n’y avait pas déjà assez d’enregistrements dans les archives de Neil Young, le voilà complétant son « journey through the past » via l’édition officielle de bootlegs, en commençant par un Carnegie Hall 1970 somptueux.
Il est facile d’en rire, comme pas mal de nos meilleurs amis mélomanes : « C’est bien, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu la sortie d’un Neil Young Live… ». Parce que, évidemment, ce Carnegie Hall 1970 n’est que le treizième (13è !!!) disque publié en 2021 par le Loner – nos amis australiens de King Gizzard sont battus à plate couture, pour le coup –, une bonne partie étant des enregistrements live. Et parce que ça n’est pas près de s’arrêter, Neil Young ayant annoncé le lancement d’une nouvelle collection, OBS, soit Original Bootleg Series, dédiée à la publication d’enregistrements pirates, la plupart des années 70 !
Bon, un rapide coup d’œil à la liste des titres de ce double album solo, enregistré le 4 décembre 1970 – soit juste après la sortie de After the Gold Rush – au fameux Carnegie Hall de New York, confirme ce que l’on pouvait imaginer, ou même redouter : 23 titres, tous bien connus, et dont tout fan un peu sérieux de Neil possède déjà de multiples versions. Des chansons de l’époque du Buffalo Springfield (Expecting to Fly, Nowadays Clancy can’t even Sing, Flying on the Ground is Wrong…), des extraits de Everybody Knows This Is Nowhere (Down By the River, Cinammon Girl, Cowgirl in the Sand) qui ont une tout autre saveur en acoustique, une bonne partie de After the Goldrush, et tous les classiques de l’époque (Helpless, Ohio, Sugar Mountain, On the Way Home…). Presque rien du premier album, à part un inévitable The Loner, et quelques nouvelles chansons, comme Bad Fog of Loneliness, ou, déjà, une « early version » de Old Man (absolument parfaite, d’ailleurs)… La plupart des titres sont interprétés à la guitare acoustique, quelques-uns seulement au piano, avec de petites surprises comme les dérapages de After the Goldrush… et, précision importante vu la source qualifiée de « pirate », le son est impeccable, recréant parfaitement l’atmosphère particulière d’une grande salle.
On sait qu’à cette époque-là, Neil Young, à 25 ans, est entré dans l’une des phases les plus créatives de sa vie, et est surtout en pleine mutation : il conserve encore beaucoup de la fragilité de ses débuts (la première partie du set le montre assez réservé, à moins que ce ne soit l’influence de certaines substances…), mais l’on devine déjà l’absolue détermination de l’artiste en pleine maîtrise qui offrira à son public le monstre populaire que sera Harvest. Sa voix, encore très féminine fait régulièrement des merveilles – comme, étonnamment, sur une drôle de version de Sugar Mountain, où il tente à plusieurs reprises d’entraîner le public dans la chanson, en se laisser troubler par les clappements de mains ou les apostrophes des spectateurs peu décidés à se « recueillir ». Neil, progressivement plus à l’aise, n’hésite pas à se moquer des spectateurs : « Vous applaudissez au début des chansons que je joue au piano, mais je sais que je ne joue pas très bien du piano, alors toutes les intros sont les mêmes ! »…
Comme, bien entendu, l’on cherchera dans Carnegie Hall 1970 les moments les moins entendus, on s’arrêtera sur les interprétations acoustiques de Cinnamon Girl ou de Southern Man, qui en font ressortir une qualité mélodique qu’on néglige habituellement derrière la brillante énergie électrique du Crazy Horse. Mais il faut bien reconnaître que l’ensemble de l’album fait un tout absolument cohérent, et de très haute volée : si ce Carnegie Hall 1970 suit les enregistrements de Live at the Cellar Door (qui ont servi a priori de préparation à ce set important dans un lieu aussi prestigieux que le Carnegie Hall…), il leur est clairement supérieur, et il justifie donc à la fois sa réputation en tant que bootleg, et son inclusion, désormais, au sein de la discographie officielle du Loner.
Eric Debarnot