En avril dernier, la Bruxelloise d’adoption Françoiz Breut a publié un nouvel album, Flux Flou de la Foule, qui a fait pas mal parler de lui, avec ses tendances un peu plus électro, et son mélange très moderne d’ambiances drolatiques et de constats peu optimistes sur l’état de notre existence. La situation pandémique l’exigeant, il nous aura fallu attendre six mois pour pouvoir juger « sur pièces », c’est-à-dire en live, de ces nouvelles chansons. C’était donc ce soir, et c’était au Café de la Danse…
20h05 : il vient lui aussi de Bruxelles, ce « projet » – comme le qualifie, un peu étrangement, Coraline Gaye, la compositrice et chanteuse – qui s’appelle Brèche de Roland. Les membres du « projet » nous disent être arrivés ce matin dans leur camionnette et être ravis d’être ici. Ils se plaignent pourtant que le public, clairsemé il est vrai, ne danse pas beaucoup. Mais on se permettra de leur rétorquer que leur musique, tout entière au service des textes poétiques de Coraline, manque sans doute trop de structure pour que le public bouge.
Quasiment tous les tempos sont moyens, et même si l’on comprend bien l’intérêt de s’éloigner de la structure traditionnelle couplet : refrain, on a quand même du mal à s’enthousiasmer pour ce qui ressemble plutôt à une mise en musique de poèmes qui sont clairement chers à Coralie (…dont la voix haut perchée peut en outre fatiguer, à la longue…). On retiendra surtout de la soirée l’embarras du groupe quand deux musiciens se trompent de chansons et sortent de scène au mauvais moment : finalement Brèche de Roland devrait faire comme tout le monde, et scotcher des setlists sur la scène. Le dernier morceau, les Particules, est le meilleur du set, sans doute parce que c’est celui ressemblant le plus à une chanson qu’on pourrait mémoriser et chanter avec eux.
21h : Françoiz Breut, les cheveux relevés en chignon, vêtue d’un court kimono rouge et d’un short de cycliste, déboule avec son nouveau groupe – claviers, aux mains du brillant Marc Mélià, prépondérants comme dans le dernier album, guitare/basse et batterie -, pleine d’allant, tout sourire (au risque parfois de paraître minauder un peu trop…). Bien des années ont passé depuis ses débuts, mais Françoiz garde la même présence lumineuse, à la fois légère, gaie et intense quand il le faut. Le son est très précis, très clair, permettant de jouer des atmosphères changeantes des chansons. Car si une certaine mélancolie distante prime, là encore comme sur Flux Flou de la Foule, il y aura de temps en temps des décrochages qui feront le sel de la soirée : le superbe moment de sensualité de Mes péchés s’accumulent, avec le renfort d’un saxo sensuel, est d’ailleurs le premier sommet du concert.
Les textes des chansons de Françoiz sont avant tout poétiques, et parlent surtout d’elle et de nous au niveau intime, elles ne reculent pas devant les prises de positions politiques (comme Juste de Passage avec ses références aux migrants) ou écologiques (la Fissure, sur les centrales nucléaires en mauvais état : « il y a une faille sur le béton / elle se lézarde, la fêlure / le réacteur est en fusion / on ferme les yeux sur les fissures »). Mais, au-delà des « messages », aussi nécessaires soient-ils, c’est un plaisir de voir Françoiz nous gratifier régulièrement de petites danses, jusqu’à se déchaîner, les cheveux défaits, sur le très rock Vingt à trente mille jours. Puis elle descend dans la fosse chanter Si Tu Disais avec le public, avant de terminer sur le romantique Fantôme du lac.
Le rappel sera parfait, avec le raide le Ravin, dont on apprécie toujours la radicale franchise (« Tu veux sauter – mon amour / Je vais prendre un autre chemin / Et chercher un détour / Il faut lâcher ma main / Mon amour, rendez-vous au fond du ravin »), puis avec le crescendo électrique de Derrière le Grand Filtre, final enivrant, qu’on aimerait encore plus long et plus… sonique.
Un beau dimanche soir que l’on aurait aimé partager avec plus de gens, le Café de la Danse n’ayant pas affiché complet, et une partie du public ayant préféré le confort des gradins à la possibilité de danser dans la fosse. Françoiz Breut mérite plus d’engagement que ça !
Photos et texte : Eric Debarnot
“Flux Flou De La Foule” : les chansons ludiques de Françoiz Breut