Joachim Lafosse explore la lente détérioration d’une famille face à la bipolarité du mari. Si le film marque des points dans le traitement, sobre, de son sujet, peut-être est-il trop sage dans son ensemble, se refusant à prendre des risques et à sortir de sa zone de confort.
On le voit bouger sans cesse d’abord, faire mille choses à la fois, se réveiller en pleine nuit pour aller réparer un vieux Solex par exemple, faire la cuisine comme une opération militaire qui se désorganise progressivement, amuser les enfants, aller peindre, nager, courir, ne jamais dormir, s’agacer parfois, s’énerver, être ailleurs. On prend ça pour de l’hyperactivité d’abord, avant que des mots, quelques mots seulement, et pas de tirades didactiques, pas de discours théoriques ni de longs diagnostics explicatifs, ne viennent dire concrètement la chose qui le mine, lui et, de fait, sa femme et son fils : Damien est bipolaire. Sa vie c’est ça, une alternance d’instants euphoriques, intenses dans les émotions et les exaltations, puis d’autres rongés par une profonde tristesse, une vision en noir de tout.
Après À perdre la raison ou L’économie du couple, Joachim Lafosse explore à nouveau la lente détérioration d’un couple face à un « mal » défini, invisible ou plus sournois (emprise sociale et psychologique, tracas financiers, troubles maniaco-dépressifs). Et observe l’unité familiale et l’engagement amoureux éprouvés par ce poison lent qui en gêne l’épanouissement, le permanent bonheur. Ici donc la maladie, une maladie impossible à guérir dont souffrait d’ailleurs le propre père de Lafosse, mais à canaliser seulement, si c’est possible, à éviter qu’elle ne s’affole (et qu’exprime, que « régurgite » Damien dans la pratique de la peinture).
En regard de « l’intranquillité » du mari, Lafosse resserre le récit sur celle de Leïla et Amine, l’épouse et le fils, égarés, épuisés, zigzaguant entre ras-le-bol et résilience, colère et attachement. Le combat contre la maladie se fait part tous, à différentes échelles et sur différents affects, et son issue ne pourra s’envisager que dans une forme d’incertitude (et un cut brutal). Mais si le film marque des points dans le traitement de son sujet (on saura gré à Lafosse de ne jamais chercher l’apitoiement ni le larmoyant), peut-être est-il trop sage dans son ensemble, se refusant à prendre des risques, à sortir de sa zone de confort, celle du drame réaliste et intimiste un brin pépère où rien ne dépasse, où tout fait joli, où rien ne vibre carrément, en nous, autour de nous, et malgré les interprétations puissantes de Leïla Bekhti et Damien Bonnard. Finalement on les regarde, Damien, Leïla et Amine, se débattre sans que ça touche. On les regarde tous les trois dans cette détresse, et c’est sans doute là le plus terrible, sans rien en retenir.
Michaël Pigé