Les frères Larrieu se mettent à la comédie musicale à leur façon, décalée et hédoniste, sans se soucier une seconde de ce qui n’irait pas et de ce que l’on pourra en dire. Singulier certes, mais bancal pas mal.
Il suffisait d’attendre. Attendre parce que c’était couru d’avance que les Arnaud et Jean-Marie Larrieu allaient un jour s’en faire une. Une comédie musicale, s’entend. Leur univers décalé et décalqué, hédoniste sans arrêt, ne pouvait que se fondre à merveille, supputait-on, dans le genre (déjà tâté dans Un homme, un vrai), eux qui en ont exploré pas mal, et même la fin du monde. En paroles, en musiques et en mélodies, ils suivent le chemin d’un homme devenant, sans le vouloir ou presque, un imposteur. Un homme qui n’a rien, sinon sa guitare de troubadour et sa façon de traverser la vie comme un vagabond qui s’entête à se foutre de tout et qui, soudain, a la possibilité, justement, d’être tout.
Être désiré, adoré, envié. Être à la fois le fils, le père, le frère, l’amant et le premier amour, mais finalement être libre. Et puis être une figure christique aussi, un pèlerin « revenu d’entre les morts » avec cheveux longs et barbe ad hoc, look très J.-C. évidemment. Et puis on ne va pas tourner à Lourdes pour rien, pour ne rien dire, ne rien signifier, et puis les frères Larrieu sont nés et ont grandi là-bas, alors… Pris pour un autre, Tralala révèle, à chacune et à chacun croisant sa route, flairant parfois le subterfuge mais s’en accommodant, ce qu’il y a de bon et de simple, éventuellement à changer, dans leur propre existence. Un « visiteur » à la Théorème, en somme.
Sur des chansons écrites par Philippe Katerine, Étienne Daho, Dominique A, Jeanne Cherhal, Sein et Bertrand Belin, « allant de la musique brésilienne à l’électro-minimaliste en passant par la variété et le rap, avec un maître souverain et souterrain, un disparu… Bashung » ont confié les Larrieu, les personnages expriment leurs doutes, fredonnent leur peine ou exultent leur joie avec, en prime, quelques entrechats exécutés. Seulement voilà : ce qui semblait bien beau sur le papier (à musique, velours, chiffon ?) se grippe souvent à l’écran (noir de mes nuits blanches ?). La faute à un scénario foutraque qui, entre une première partie parisienne ratée laissant augurer du pire et des trous d’air narratifs (la scène en boîte de nuit qui s’éternise, le récit mal structuré autour de l’histoire d’amour entre Tralala et Barbara…), entrave le film dans ses envies de fantaisie et de musical pas comme les autres.
« Seulement le mot juste, seulement le bon geste », entonne d’ailleurs Belin de sa voix chaude rocailleuse, reprenant ici l’une de ses chansons comme un écho à ce que voudrait, et voudrait seulement, être le film ; parfait dans ses dialogues, et parfait dans sa forme. On en est loi, et c’est dommage, alors tant pis pour le mot juste, et tant pis pour le bon geste. Sur presque deux heures, les Larrieu ont du mal à tenir la distance, se perdant dans des intrigues superfétatoires ou se laissant aller à des baisses de régime, mais gardant toujours, même dans la débâcle, cette façon d’être eux, jouisseurs et singuliers, sans se soucier une seconde de ce qui n’irait pas et de ce que l’on pourra en dire.
Michaël Pigé