En s’échappant pour un temps et pour la seconde fois de son projet de toujours The Innocence Mission, Karen Peris ranime le monde de l’enfance à travers une série de chansons généreuses et empathiques. Loin d’être récréatif, A Song Is Way Above The Lawn s’avère être un excellent complément à la magie proposée par la dame avec son groupe, on y croisera des girafes, des éléphants qui chantent, des livres comme des amis.
C’est pas grand chose mais c’est ce qui fait toute la différence, non ? L’empathie, ce petit truc, ce presque rien qui nous fait entrer en communication avec un individu, parfois un inconnu que l’on n’a jamais rencontré et que l’on ne rencontrera sans doute jamais. Pourquoi certains individus nous touchent autant quand d’autres ne laissent aucune trace dans nos consciences ? Nous sommes pourtant tous fait à peu de choses près du même moule. On confond parfois admiration et crainte, reconnaissance et amitié. Pourtant, il y a ces êtres un peu maladroits, à peine soucieux d’eux-mêmes et en même temps encombrés de leurs corps et de leurs pensées. Il y a aussi le charisme flamboyant et celui de celui qui doute. Il y a de l’élégance dans la gaucherie et la maladresse car il y a de l’imperfection et comme il y a de l’imperfection il y a de l’humanité.
Entrer dans un disque de Karen Peris avec ou sans The Innocence Mission, c’est comme reprendre une conversation avec un ami cher, cher à notre cœur. En la voilant à peine, Karen Peris nous raconte depuis toujours les petits instants de la vie qui forgent nos histoires. Pourquoi cela ? Tout simplement parce qu’il se dégage de cette musique, l’empathie lumineuse qui entoure Karen Peris, elle qui m’expliquait au moment d’entamer cet entretien qui accompagne la sortie de ce disque, préférait me répondre par écrit tant elle est gênée par elle-même et tant elle souhaitait respecter mes questions en y répondant de la manière la plus juste possible. De crainte d’être paralysée par cette timidité que l’on entend dans ses chansons, Karen Peris préférait se cacher derrière son écriture sans finalement vraiment se cacher. On ne sera pas surpris de voir Karen Peris s’intéresser à des chansons au départ destiné à un public d’enfants tant on reconnaît dans sa fragilité une part de cette enfance, on y retrouve également un sens de l’émerveillement qui souvent échappe à l’adulte. D’ailleurs on sort émerveillé de l’écoute de cet album. Entrer dans un disque de Karen Peris c’est entrer dans un territoire d’empathie et de tendresse car The Innocence Mission et Karen Peris font partie de ces artistes rares, des musiciens amis, des musiciens monde, des musiciens âmes. Un peu comme Kurt Wagner et Lambchop, comme Adam Wiltzie et Brian Mc Bride de Stars Of The Lid. Chacun des disques que ces artistes ont composé, on pourrait en avoir écrit chaque note, chaque parole, chaque émotion si on en avait le talent. On vit à travers eux comme par procuration, des nous-mêmes en mieux.
Depuis toutes ces années, la musique de The Innocence Mission reste un secret bien gardé par quelques chanceux à l’image des travaux de Mark Eitzel ou de ceux de Paul Buchanan, une musique absolument évidente et lumineuse dont on ne s’explique pas la confidentialité en se félicitant de la connaître. Le temps rapide d’un réflexe, on voudrait pour soi, au plus creux de notre intimité mais l’empathie et la générosité appelant l’empathie et la générosité, on la glisse dans les oreilles de ses proches, de ses amis et petit à petit se constitue une minuscule communauté de ceux qui connaissent les travaux de The Innocence Mission et Karen Peris. Ces gens-là comme Karen Peris ont un petit quelque chose de plus dans le regard, je parierai ma chemise qu’en fouillant bien, on trouverait dans le fond de leur œil le reflet de l’enfant qu’ils sont restés.
Pas de surprise donc à voir Karen Peris s’emparer à nouveau du territoire de l’enfance, elle qui en 2004 avec Now The Day Is Over, avec The Innocence Mission nous proposait une collection de berceuses, tout juste un après Befriended, le disque de 2003 considéré comme un chef d’œuvre. Now The Day Is Over pourrait passer un disque récréatif, ce qu’il est peut-être en partie sauf qu’avec le recul que nous avons désormais, ce disque a eu plus d’importance que nous pourrions le penser de primer abord pour le reste de la discographie de The Innocence Mission, leur ouvrant la voie vers une forme de minimalisme nouveau qui venait contraster avec l’émotion tremblante du chant de l’américaine. A Song Is Way Above The Lawn pourrait lui aussi être perçu comme une œuvre récréative mais on rappellera que la gestation de l’objet que vous écoutez aura été longue, il aura fallu huit longues années pour que ces chansons arrivent à maturation. Celui qui connaît déjà bien le travaux des américains redécouvrira des terres hospitalières ici, on y retrouvera également les mêmes obsessions chères à Karen Peris, le temps et les saisons qui passent, les paysages. Elle ajoute à son bestiaire habituel une girafe et un éléphant, elle chante les livres qu’elle considère comme des amis.
Quand il a été question de photo pour accompagner l’entretien que Karen nous a accordé, la dame m’a renvoyé une photo prise sur un smartphone, mal cadrée, presqu’intime, très loin des objets de communication tout en efficacité que nous envoient en général les attachés de presse. Karen et Don Peris, dans leur simplicité, leur modestie, leur maladresse, m’évoquent les paroles de cette chanson si juste d’Anne Sylvestre :
J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger
J’aime les gens qui passent moitié dans leurs godasses et moitié à côtéJ’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des consAnne Sylvestre
De Superhero à To The Library, elle raconte l’enfance, cet âge de tous les possibles, ce lieu où une simple flaque devient un océan plein d’aventures, ces éléphants qui volent à la recherche d’eux-mêmes. On pourrait croire le propos simpliste, un peu frontal mais comme l’explique Karen Peris, c’est un dialogue entre deux être égaux à laquelle elle nous convie et non pas une discussion entre un adulte et un enfant. Porté par le piano de l’américaine qui, au fur et à mesure des années, est un peu devenu la marque de fabrique de The Innocence Mission, Karen Peris prolonge le bonheur ressenti à l’écoute de Violet (2012) son premier album solo. Violet était quasiment muet et quand A Song Is Way Above The Lawn fait la part belle au chant. On y entend de l’accordéon et bien sûr la guitare slide de Don Peris, indissociable de la musique de son épouse.
On est transportés dans cette ballade presque surréaliste qu’est I Would Sing Along qui rappellera aux plus férus de la musique de l’américaine ce joyau caché dans la discographie du groupe The Snow On Pi Day exclusivement sorti en EP. On se croit perdus dans une brume lumineuse et notre seul guide est un vieux haut-parleur qui diffuse un vieux standard D’Anita Kerr ou peut-être une chanson oubliée de Simon And Garfunkel. On est saisi aux larmes par For A Giraffe où Karen Peris prend presque des accents des Hilltoppers. Sur This Is A Song In Wintertime, elle parvient à capter avec cette sensibilité qui lui est propre ces instants universels qui disent tout. Map For The Orange Daylight rappelle dans sa composition articulée autour du piano, The Innocence Mission période My Room In The Trees (2010) et plus particulièrement le sublimissime North American Field Song quand Sister Birds tutoie l’éternité.
Autre obsession de Karen Peris qui fait sa réapparition ici dans George In The Car, son goût pour des amis imaginaires, fusions de personnes bien réelles et de doubles idéaux d’elle-même. Ecouter un disque de The Innocence Mission c’est prendre plaisir également à retrouver ces personnages récurrents qui finissent par prendre corps et chair. Ecouter un disque de The Innocence Mission c’est aussi entrer dans l’histoire familiale de Karen Peris non pas comme un voyeur mais comme un acteur de cet histoire, il en est ainsi de la chanson qui donne le nom à cet album, ces arrangements soyeux qui raniment les parents disparus de la chanteuse. Karen Peris conclut ce disque fabuleux par Flowers qui tient presque du miracle et de l’enchantement. Elle parvient à nous faire croire que Forever peut vouloir dire toujours, Forever and ever…
Celui qui ne comprend pas le sens du mot empathie l’entendra pleinement dans les chansons de Karen Peris et dans A Song Is Way Above The Lawn car il existe des œuvres d’art qui peuvent suppléer à la respiration au souffle et à l’âme.
Greg Bod
Karen Peris – A Song Is Way Above The Lawn
Label : Bella Union
Sortie le 08 octobre 2021