Remake « à l’identique » – mais finalement très US – du polar danois très réussi de Gustav Möller, celle nouvelle version de The Guilty déçoit largement, et offre surtout des pistes de réflexion sur tout ce qui ne fonctionne pas dans la conception états-unienne actuelle du cinéma populaire.
L’un des thrillers les plus intéressants de 2018 avait été The Guilty, film danois resserré sur une idée très hitchcockien, qui voyait un opérateur téléphonique de la police se laisser aller à interpréter un appel au secours, avec des conséquences dramatiques. Sans être un chef d’œuvre, The Guilty était un film audacieux et plutôt intriguant, et avait été remarqué dans les festivals. Ce n’est donc pas une surprise que Netflix, toujours intéressé par les scénarios « high concept » ait décidé d’en produire un remake US. On peut évidemment tergiverser sur le besoin de refaire, quasiment à l’identique – mais pas tout-à-fait, on y reviendra – un film européen existant et réussi, afin de capturer à peu de frais un public US trop frileux, ou trop peu curieux pour regarder un polar danois. Et franchement s’amuser de voir le fameux – et surestimé – Nic Pizzolatto (l’homme derrière le succès, puis les échecs de True Detective…) crédité comme auteur d’un scénario qui lui doit aussi peu. Mais il est plus intéressant de comprendre pourquoi The Guilty US fonctionne nettement moins bien que l’original, et finit même par s’avérer être une franche déception.
Le film étant centré sur un seul protagoniste, passant son temps au téléphone, la logique US a voulu qu’on confie le rôle de Joe Baylor, flic troublé et dont la carrière – et la vie tout entière – est compromise pour une affaire qui sera jugée au tribunal le lendemain, à un acteur chevronné et unanimement célébré comme le brillant Jake Gyllenhaal, au lieu d’un quasi-inconnu comme Jakob Cedergren dans le film de Gustav Möller. Et il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer que Gyllenhaal n’est pas, comme d’habitude, absolument excellent. Le problème est que la comparaison avec le jeu neutre, froid de Cedergen dévoile tout ce qui tient dans le cinéma US de l’exagération émotionnelle, du surjeu continuel, de « l’hyper-psychologisation » de toutes les situations : il faut finalement que le personnage vomisse du sang dans les WCs pour que son profond malaise soit complètement représenté à l’écran. Et, quand on réalise la quantité de cris et de larmes nécessaires à un film US pour exprimer la même chose qu’une suite de regards et de silences scandinaves, on est évidemment en droit d’affirmer qu’on est là dans le domaine des différences culturelles… mais la vérité est que Fuqua, réalisateur honnête mais pas non plus particulièrement talentueux, n’évite quasiment aucun piège posé par les stéréotypes habituels du cinéma commercial US.
Dans cette nouvelle version, nous avons donc droit à beaucoup plus de musique pour exacerber les situations, beaucoup plus de mouvements de caméra pour que le spectateur ne s’ennuie pas, et même – c’est à hurler de rire, ou à pleurer de tristesse – à une scène « extérieure », sans doute dans l’imagination de Joe, puisqu’à Hollywood, on ne saurait jamais faire totalement confiance à l’imagination du public !
Quant à Pizzolatto, pour revenir sur son « travail », il a eu la bonne idée d’inscrire l’histoire dans le décor des gigantesques incendies californiens, mais a largement gâché l’histoire en y inscrivant les thèmes tellement états-uniens de la culpabilité et de la rédemption, jusqu’à un abominable happy end moralisateur dans le contexte actuel et très politique des bavures policières. Inutile de dire que le résultat de tous ces bidouillages et distorsions, même légers, est un film beaucoup moins fascinant, vaguement ennuyeux par instants (avec cinq minutes inutiles de plus au compteur que l’original, que nous aurions nous-mêmes plutôt préféré légèrement raccourci !), et même franchement irritant à la fin.
Eric Debarnot