[Netflix] Sex Education : le bilan à l’issue de la troisième saison

Il ne fait désormais aucun doute que, depuis son apparition en 2019, Sex Education, dépassant son positionnement « teen », est devenue l’une des séries TV les plus brillantes, les plus attachantes, et surtout les plus pertinentes de notre époque déchirée par les questions de genre et d’émancipation des minorités. Il était grand temps de faire le bilan de ce succès.

Sex Education S3
Asa Butterfield & Ncuti Gatwa – Copyright FR_tmdb

La découverte d’une grande série TV

En janvier 2019, lorsque Netflix mis en ligne Sex Education, on n’avait pas eu trop envie de perdre du temps devant une série de plus à destination d’un public teenager, se déroulant qui plus est dans un collège qui nous évoquait à priori plutôt les pénibles souvenirs de choses informes du type « American Pie« . Jusqu’à ce qu’on réalise que la série était en fait anglaise, que la sublime Gillian Anderson y tenait un rôle-clé, celui de la mère thérapeute sexologue et néanmoins peu à l’aise avec les difficultés sexuelles d’Otis, son fils adolescent, vierge et affecté de divers complexes sévères… Et qu’il ne s’agissait pas du tout d’éducation sexuelle de jeunes puceaux puritains comme les USA en raffolent, mais bel et bien de psychologie, voire de psychothérapie visant à assurer le bonheur, ou tout au moins la satisfaction sexuelle d’une cohorte de personnages affrontant surtout l’épreuve de la découverte de soi, dans une société qui ne leur fait aucun cadeau.

Sex Education S3 afficheCar Sex Education a été depuis le début plus dans la crudité que dans la gaudriole, plus dans la souffrance que dans la libido caricaturale. Et, avouons-le, Sex Education nous a instantanément conquis par son intelligence, sa drôlerie. Par sa capacité à nous toucher au cœur, voire même à l’occasion, à nous bouleverser, comme dans le magnifique et terriblement élégant épisode 3 de la première saison (sur l’avortement) ou encore le dramatique épisode 6 de cette même saison inaugurale qui poussait tous les protagonistes centraux de la série au bout de leur logique, et frôlait le drame.

Les personnages de Sex Education sont pour la plupart complexes et superbement écrits, dépassant systématiquement les stéréotypes qu’on imagine initialement trouver dans ce genre de série populaire. Ils sont portés par des interprètes au talent certes variable, mais à l’énergie communicative : Asa Butterfield, découvert dans Hugo Cabret, est parfait en sexologue puceau mais très doué, mais ce sont la belle Emma Mackey, aux blessures à vif, et l’enthousiasmant Ncuti Gatwa en gay flamboyant, qui emportaient le morceau dans la première saison.

En donnant à chaque personnage, bon ou mauvais, sympathique ou antipathique, sa chance, en faisant preuve d’une sincère générosité vis à vis des pires faiblesses de chacun, sans nier pour autant le mal que nous nous faisons les uns aux autres, Laurie Nunn et son équipe réalisaient un véritable sans faute… qui bénéficiant en outre d’une bande son indie rock audacieuse, illuminée par la présence d’un/e Ezra Furman parfaitement à sa place au milieu du chaos général.

https://youtu.be/zmgYlYw7Uwk

Une saison deux plus dramatique :

La seconde saison démarrait moins brillamment que la première, et nous laissait d’abord un peu sur notre faim : moins drôle, moins enlevée, elle n’évitait pas dans ses premiers épisodes un léger effet de répétition, peut-être dû d’ailleurs à nos attentes trop élevées. Heureusement, ce n’était là qu’un court passage à vide – de notre part ou / et de la part de la série – puisque peu à peu, la magie « Sex Education » opérait à nouveau, mais dans une atmosphère beaucoup moins légère cette fois : les conflits se multipliaient entre les personnages, sans que le scénario ne sacrifie aux habituels effets réconfortants des résolutions faciles. Comme dans la vraie vie, les ambiguïtés dans les relations ne se lèvent pas si facilement que ça, les bonnes résolutions prises par les uns et les autres ont certes un bref effet « feelgood », mais se heurtent rapidement à la réalité de rapports complexes.

 

Sex Education S3
Tanya Reynolds – Copyright Sam Taylor/NETFLIX

Bien sûr, le mécanisme d’addiction utilisé systématiquement est le recours à notre désir « fleur bleue » de voir le couple Otis – Maeve se constituer enfin : ce désir sera cesse contrarié par un scénario qui empile – de manière un peu invraisemblable, mais peu importe finalement – les barrières aux aveux de leurs sentiments et ensuite à la réconciliation de nos héros, avec une accumulation de coups de malchances ou de machinations de la part de personnages « hostiles », comme celui, très intéressant, de Isaac, le voisin handicapé, qui portera un coup fatal à nos espoirs dans la conclusion de la saison.

Le milieu familial d’Otis s’avérait de plus en plus instable, avec sa mère qui se positionnait comme une concurrente inattendue en matière de thérapie sexuelle au lycée, et qui vivait une relation amoureuse mettant en danger sa vie et ses certitudes, et avec son père, sex addict à la lâcheté confondante, qui réapparaissait pour raviver toutes les plaies émotionnelles mal refermées. Et la résolution (?) des problèmes sexuels d’Otis ne pourrait alors advenir qu’au prix d’un lâcher prise radical, permis par l’alcool, au cours d’une soirée folle – et assez « destroy » – durant un excellent 6ème épisode.

Dans cette seconde saison, la plupart des protagonistes ont été soumis à des choix cornéliens, entre deux partenaires, entre deux orientations sexuelles, ou même entre deux choix de vie. Du coup, Sex Education adoptait un ton beaucoup moins enjoué : c’était de véritables tragédies intimes qui se dévoilaient sous nos yeux, loin des banales obsessions sexuelles vaguement récessive des récits adolescents habituels. Plus que jamais, Sex Education nous parle de la vie, au-delà du sexe.

Ce qui ne voulait pas dire que les sujets sexuels soient plus anodins : au contraire, le récit très juste de l’impact sur sa sexualité du harcèlement subi par Aimee dans un bus était remarquable, tandis que les digressions sur l’hygiène anale nécessaire à la sodomie évitaient brillamment la farce pour devenir de véritables conseils pratiques.

A souligner également les très bons deux derniers épisodes de la seconde saison, l’un reprenant le principe du fameux Breakfast Club de John Hughes pour faire se rejoindre plusieurs protagonistes féminins dans un consensus sur la masculinité toxique, et le dernier nous offrant une version musicale orgiaco-délirante de Roméo & Juliette, des plus réjouissantes.

 

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Emma Mackey & Aimee Lou Wood – Copyright Sam Taylor/NETFLIX

…et une saison 3 un poil – de pubis – au-dessous des deux précédentes (Attention, quelques spoilers à prévoir !)

Par rapport aux deux précédentes, la troisième saison de Sex Education déçoit un peu, sans constituer non plus une véritable baisse de qualité de la série. C’est que cette saison, pourtant démarrée sur les chapeaux de roues avec un premier épisode délirant secouant la morosité qui s’était imposée au fil de la saison précédente, semble pour la première fois hésiter à aller jusqu’au bout de son propos… alors que l’on avait toujours loué Laurie Nunn et son équipe pour leur audace !

Il y a en effet au cœur de ces 8 épisodes un sujet essentiel, et terriblement d’actualité, qui tourne autour du « retour de bâton » après des années de prise de parole par les minorités : avec le licenciement du proviseur et l’arrivée à sa place d’une nouvelle protagoniste, Hope (Jemima Kirke qu’on avait perdue de vue après Girls), c’est le spectre de la réaction qui envahit la Moordale Secondary School, et c’est une reprise en main de plus en plus brutale des comportements des lycéens qui s’opère. En dépeignant la dure réalité dans le monde anglo-saxon du financement privé de l’éducation, qui mène inévitablement à des choix « politiques » en matière de doctrines et de méthodes, Sex Education aborde donc un sujet en or… mais choisit de nous offrir une résolution assez lénifiante de ce conflit pourtant central aujourd’hui : la critique de la culture « woke » par les forces réactionnaires emplissant désormais, on le sait bien, les réseaux sociaux, la défense de principes essentiels de la liberté individuelle, en particulier de la femme et des minorités, est un combat indispensable qu’on attendrait de voir mener avec plus de vigueur dans une série aussi importante, aussi regardée à travers le monde que Sex Education. Le fait de dédouaner Hope de ses comportements fascisants – comme l’atroce humiliation imposée à ses adversaires – en expliquant qu’elle est une mère frustrée, est quand même un peu court ! L’annonce des conséquences sur tous de l’échec de la reprise en main du lycée constitue évidemment un « teaser » parfait pour la quatrième saison, mais aurait également pu être traitée un peu plus sérieusement dans le dernier épisode…

https://youtu.be/OjZj4bxup64

Cette troisième saison ne manque heureusement pas de points forts, comme tout ce qui tourne autour des remarquables personnages d’Adam (Connor Swindells, très touchant…) et de son père Michael Groff, ou encore de l’éveil d’Eric à la « culture gay de la fête » lors d’un voyage à Lagos, où plane d’ailleurs la menace d’une homophobie violente.

Mais peut-être que, finalement, la faiblesse la plus criante de ces 8 nouveaux épisodes provient de notre détachement progressif vis à vis des deux personnages-clé que sont Otis et Maeve, dont les atermoiements et les hésitations ont fini peut-être par nous fatiguer : aussi bien Asa Butterfield – qui a clairement « vieilli » depuis le début de la série et rentre désormais mal dans la peau d’un adolescent fragile comme Otis – que Emma Mackey semblent bien trop mûrs pour jouer encore la vieille partition du « Je t’aime moi non plus » qui a rythmé les deux saisons précédentes. Le succès public rencontré par l’épisode 5, pourtant assez grossier avec son gag scatologique et le manque de crédibilité de son voyage en France, montre bien le désir du téléspectateur de voir enfin cette affaire réglée !

On imagine bien que la quatrième saison, logiquement prévue pour 2022 (ou 2023 ?) apportera la conclusion nécessaire à ce récit choral de destins « ordinaires » d’adolescents – et d’adultes – torturés, ou simplement agités par la question de leur identité sexuelle et de leur destin d’être humain en général. Et on espère que Sex Education saura poursuivre jusqu’au bout sur sa voie ambitieuse de série aussi divertissante qu’intelligente et… militante.

Eric Debarnot

Sex Education
Série TV britannique de Laurie Nunn
Avec : Asa Butterfield, Gillian Anderson, Emma Mackey, Ncuti Gatwa, Connor Swindells…
Genre : comédie, drame
3 saisons de 8 épisodes de 50 minutes
Troisième saison mise en ligne (Netflix) le 17 septembre 2021