Le punk rock mène à tout à condition de ne pas se limiter aux clichés du genre : c’est la leçon que l’on peut tirer de l’impeccable troisième album de Destroy Boys, un disque qui ouvre, comme son titre le promet, autant son cœur que sa bouche…
Destroy Boys : tout un programme pour un groupe punk, féminin au demeurant (même si le batteur, Narsai Malik, est un mâle…)… Et un nom de groupe finalement mensonger, puisque ces californiennes, originaires de Sacramento, ne se revendiquent pas particulièrement d’un féminisme agressif, ou même simplement militant dans la lignée des célèbres Bikini Kills : leurs chansons nous parlent plutôt des difficultés « normales » qu’une jeune femme « ordinaire » va rencontrer dans sa vie en 2021. Finalement, le titre de l’album, Open Mouth, Open Heart (la bouche ouverte, le cœur ouvert) traduit beaucoup mieux la sincérité, la candeur (comme disent les Américains) de la démarche d’Alexia Roditis (chanteuse et guitariste) et de Violet Mayugba (guitariste).
Ainsi le titre d’ouverture de l’album, Locker Room Bully, pointe du doigt l’intensification du harcèlement dans la vie quotidienne des adolescents, voire des adultes sur les réseaux sociaux, un véritable fléau : « Hunting witches has turned into hunting bitches / … / Do me a favor and find out the facts / Before you come to my door / Ready to attack » (La chasse aux sorcières s’est transformée en chasse aux salopes / … / Fais-moi la faveur d’en apprendre plus sur moi / Avant de venir à ma porte / Prêt à m’attaquer).
Mais l’approche de Destroy Boys n’a rien de sociologique, heureusement, et c’est d’un point de vue très personnel, voire intime, qu’Alexia aborde la plupart des sujets de l’album. Drink est une chanson courageuse, qui touche le sujet peu courant dans le Rock de l’alcoolisme, qui est ici un mal familial. Ayant des parents qui boivent, il est « normal » pour les enfants de reproduire le même vice. Comment briser ce cycle vicieux, en dépit de toute la souffrance, de toute la honte, de tout le désespoir que cela implique ? Car on boit avant tout parce qu’on vit au milieu d’un chaos émotionnel permanent, où amour et haine de soi comme de l’autre s’entremêlent et se succèdent à un rythme de plus en plus rapide : « She understands me like you did / She really loves me / I’m a saint living in sin / Oh, she really loathes me » (Elle me comprend aussi bien que toi / Elle m’aime vraiment / Je suis une sainte vivant dans le péché / Oh, elle me hait vraiment).
L’amour n’est pas non plus facile, même s’il reste la quête ultime, la promesse de bonheur… quitte à remiser un instant notre pessimisme pour ouvrir complètement notre cœur à l’autre, comme sur All This Love : « You’ll tell me your stories / We’ll go out to parties / Spend the night, trade advice / I don’t ever get boring / I’ll write songs about you, I’ll give you a show / And tell you all the things that I think you should know » (Tu me raconteras tes histoires / On sortira en soirée / On passera la nuit, on échangera des conseils / Je ne suis jamais ennuyeuse / J’écrirai des chansons sur toi, je ferai un spectacle pour toi / Et je te raconterai toutes les choses que je pense que tu devrais savoir…). Mais l’amour, même si on l’idéalise, ne saurait constituer une véritable échappatoire, tant nous avons toutes et tous un bagage lourd que nous transportons avec nous en permanence. La sincérité est-elle vraiment la solution ? Pas sûr, si l’on en croit la chanson d’amour compliqué qu’est Te Llevo Conmigo : « Here lie all those who have come before me / Gracias por hacerme saber » (Ici reposent toutes celles qui sont passées avant moi / Merci de me l’avoir dit !)….
… Et ce n’est pas le fait de jouer du Rock’n’roll, avec les difficultés matérielles que cela implique désormais, qui peut rendre la vie plus facile et permettre d’échapper (Escape) aux problèmes quotidiens : « I live a double life / It’s hard to keep track / Sometimes I’m a rockstar / And sometimes I’m selling snacks » (Je vis une double vie / C’est difficile à suivre / Parfois je suis une rock star / Et parfois je vends des sandwiches)…
Emballé dans une pochette à la photo réjouissante – illustrant avec humour ces fameux conflits dont parlent les chansons -, et sans l’appui d’une basse puisque Destroy Boys n’a plus de bassiste depuis 2020, Open Mouth, Open Heart se présente néanmoins comme un album de chansons punk au format relativement classique. Parsemé de déflagrations très courtes et très intenses, séparant les chansons disons profondes, « importantes », qui approchent, elles, le format plus inhabituel des 4 minutes, l’album s’avère, sur la durée, plus original qu’il ne le paraît au premier abord. Malgré l’agression sonique de rigueur, il est facile de percevoir qu’Alexia est ouverte dans son chant à des influences plus pop (Blondie ? Vampire Weekend qu’elle cite elle-même en exemple ?) ainsi que plus ambitieuses (Siouxsie est aussi une référence pour Alexia). Soit une promesse d’évolution encore plus intéressante pour un groupe qui, à son troisième album, en a déjà tenu pas mal, de promesses…
Eric Debarnot