The Notwist est considéré par certains comme l’un des groupes les plus injustement méconnus des dernières décennies, et, même si les fans s’accordent pour dire que leurs derniers albums n’ont plus tout à fait le génie des premiers, le groupe allemand s’est forgé une formidable réputation sur scène… que nous allons pouvoir juger sur pièce ce soir dans un Trabendo, pas totalement complet malheureusement, mais bien rempli de ces fameux fans pour qui toute apparition du groupe est un évènement.
On remarque en entrant dans la salle une abondance de matériel sur scène, un labyrinthe de claviers, d’amplis, de consoles, au milieu duquel trône une imposante structure de… xylophone (en fait, on m’apprendra qu’il s’agit d’un vibraphone…) ? On est impatients de voir ce que the Notwist va faire de tout ça…
19h45 : Merryn Jeann, jeune femme – australienne – blonde, très souriante, extrêmement sympathique, entame son set seule derrière son clavier : elle nous cueille d’emblée grâce à une voix superbe, mais on réalise vite que ses compositions sont fascinantes. Elle est rapidement rejointe par Adam au saxophone, qui va créer une atmosphère soyeuse, parfait écrin pour des chansons mêlant charme cotonneux et profondeur saisissante. Beaucoup de beauté, un soupçon d’étrangeté, des passages parlés, il y a quelque chose qui se passe dans un Trabendo recueilli (même si le malaise d’une spectatrice au premier rang créera une petite distraction…). Le fonctionnement en duo de Merryn Jeann et Adam est semble-t-il une nouveauté pour ce set au Trabendo : la chanteuse nous explique se produire normalement seule, mais avoir essayé aussi un format en quatuor, récemment. En tout cas, même sans répétition puisque, apparemment, les deux musiciens se sont rapidement mis d’accord dans l’après-midi sur le set, tout sonne impeccablement bien, et les échanges d’instruments, accompagnés de fous rires sympathiques se passent sans accroc. 45 minutes d’émotion vaporeuse et de beauté entêtante… Peut-être que quelques ruptures de ton auraient encore rendu ça encore meilleur. En tout cas, voilà une artiste (parisienne malgré ses origines…) à suivre !
21h00 : Pas moins de sept personnes sur scène ce soir, ce qui signifie que le trio de base de The Notwist, les frères Acher, Markus (le chanteur guitariste) et Mitcha (bassiste) et leur batteur Andi Haberl sont entourés de quatre musiciens, dont les désormais habituels Max Punktezahl (« Nombre de points maximal » en français !) aux claviers et à la guitare (pour certains assauts soniques, mais nous en reparlerons) et Karl Ivar Refseth au vibraphone, absolument fascinant avec ses quatre baguettes qu’il utilise simultanément et ses deux archets. Le résultat est évidemment un son d’une amplitude et d’une richesse parfaite – bravo encore une fois à l’ingé son et au Trabendo pour nous avoir offert un son aussi impeccable ! Et surtout cette complexité qui distingue immédiatement The Notwist du reste de la scène actuelle…
L’attaque du set par Into Love / Stars, avec son intro légère et la voix touchante de Markus laisse quelques instants planer le spectre d’un concert calme et… mesuré à l’image d’une bonne partie du dernier album, Vertigo Days… mais c’est une illusion, puisque dans un crescendo absolument irrésistible, le rythme s’accélère, l’intensité monte : cela ne fait que quelques minutes que ça a commencé et on est déjà dans une atmosphère de folie ! Exit Strategy to Myself devient une véritable tuerie : ces boucles répétitives qu’on adore, ce maelstrom puissant qui nous entraîne, ce mélange totalement surprenant d’électronique et de puissance rock, et cette voix, si simple mais si belle, qui rappelle que toute cette folie reste profondément humaine. On bascule ensuite sans transition – les morceaux sont la plupart du temps enchaînés sans break, ce qui fonctionne très bien mais nous frustre puisque nous ne pouvons pas acclamer le groupe comme il le mérite – vers le krautrock agressif de Kong qui achève de nous mettre à genoux. Irrésistible est le seul mot qui nous vienne à l’esprit après une telle démonstration de force et de beauté conjuguées…
On n’utilise pas le mot de « beauté » à la légère quand on parle de The Notwist, car ce qui impressionne vraiment, c’est que même lorsque les tourbillons soniques, les percussions furibardes, le chaos électronique montent en puissance et nous délivrent notre dose de frénésie, voire même d’extase, la munificence des mélodies et, répétons-le, le chant modeste mais littéralement enchanté de Markus nous raccrochent à notre humanité (Par exemple sur Pick Up the Phone, célébré par les fans qui semblent autour de nous proche du nirvana).
On ne va pas détailler ici chacun des morceaux interprétés au cours des 1h45 d’un set qui ne connaîtra aucune baisse de qualité, même si, après un démarrage stupéfiant, on ira explorer les atmosphères plus planantes, plus étranges aussi de Vertigo Days – admettons quand même que le martèlement tribalo-électro de Ship nous a enchanté ! Disons seulement qu’on ne s’ennuie jamais, même au cours des passages les plus abstraits, les plus expérimentaux, ou les plus calmes (Into the Ice Age / Oh Sweet Fire) de la set list : il y a toujours quelque chose à voir sur scène, comme l’utilisation par Markus de disques vinyles pour rajouter des couches de son, ou les performances spectaculaires de Karl Ivar avec son vibraphone, ou encore le travail admirable du batteur, forcené et léger à la fois.
Dans sa dernière partie, le set remonte en intensité, en alternant les chansons préférées du public (la plupart accueillies par des cris de joie, comme Into Another Tune avec son intro caractéristique, à la manière d’un orgue de barbarie) et les décharges d’énergie. Sur certains anciens morceaux, il est impossible de ne pas retrouver d’ailleurs certaines sonorités de la grande new wave des années 80, de New Order à Cure pour la mélancolie profonde et pour le lyrisme qui peut même devenir parfois flamboyant.
Les derniers morceaux du set (Object 11, Loose Ends avec sa guitare abrasive qui tournoie au premier plan) reviennent, logiquement, inévitablement, d’abord vers les origines Rock du groupe, puis vers la transe, donc vers le bonheur général dans la salle – cris de joie, larmes aux yeux, ceux qui ont déjà assisté à des concerts où l’illumination survient ainsi connaissent le programme ! Sur scène, les musiciens semblent se relâcher (enfin !), prêts à jouir de l’amour de leur public… Et nous offrent un rappel généreux, puisque composé de l’enchaînement du merveilleux Pilot et de Consequence, très attendus, avant la brève conclusion enjouée et cinématographique – non prévue sur la setlist a priori – de 0-4.
En conclusion, et la joie qui se lisait dans les yeux du public à la fin de la soirée en est une éclatante confirmation, faites-vous du bien : ne manquez pas un prochain passage de The Notwist en concert près de chez vous !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil & Eric Debarnot
The Notwist – Vertigo Days : douce mélancolie et recherches sonores audacieuses