Xavier Giannoli adapte le coeur du roman de Balzac, Illusions perdues, avec une reconstitution soignée du Paris de la Restauration dans un film aux airs de fascinante et maladive fresque sociale, en dépit d’un aspect un poil trop didactique par moment.
Il fallait rien de moins que le génie de Balzac pour insuffler au cinéma français une ambition qui semble s’être amenuisée ces dernières décennies : film imposant, Illusions perdues adapte la partie centrale du roman monstre de l’auteur de la Comédie humaine, et se jette à corps perdu dans les exigences de la reconstitution historique constellée d’une galerie de personnages à la stature imposante.
Force est de reconnaître que sur cet aspect, les retrouvailles avec un cinéma historique sont tout à fait réjouissantes : là où l’habillage numérique fait désormais des ravages au profit de cartes postales gênantes de brillance, Xavier Giannoli soigne une photo organique dorée (du côté des libéraux journalistes) ou froide (chez les cadavres ambulants de l’aristocratie), cherchant dans ce ballet collectif les matières, de l’étoffe des parures au papier et à l’encre, des vapeurs de l’alcool aux excès des banquets. Illusions perdues retrouve ainsi cette grandeur panoramique, investit le Paris de la Restauration et donne véritablement vie au Boulevard du Crime, aux bureaux des journaux avides de profit ou aux différents cercles dans lesquels s’ourdissent des complots visant à faire ou défaire des réputations. La distribution participe activement à cette fébrilité, par des compositions qui imposent une présence intense (Jeanne Balibar, Xavier Dolan) canaille (Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Gérard Depardieu) ou blessée (Cécile de France).
Bien entendu, les fils retords de l’intrigue balzacienne nourrissent habilement les 2h30 de récit, qui déroulent sans temps morts un récit d’apprentissage promettant son protagoniste à la gloire et aux déconvenues. Tous les ingrédients sont bien là, de la naïveté provinciale à la rouerie apprise par contagion d’un univers méphitique, et la présentation des rouages du système initie aussi bien le candidat au triomphe que le spectateur.
On ne s’étonnera évidemment pas des parallèles proposés entre cet univers et notre époque. Alors que sortait en salle la semaine dernière Le Dernier Duel de Ridley Scott, soit une lecture #metoo d’une affaire de viol en 1386, Illusions perdues propose exactement la même grille de lecture. Les mécanismes de la presse, longuement disséqués, établissent ainsi un tableau très explicite des origines du mal : la corruption du milieu, la nécessité impérieuse de la polémique, le crédit accordé aux rumeurs, aux fausses informations et l’article considéré finalement comme un ornement pour le cœur réel du papier, à savoir la publicité, renvoient tous à un état des lieux on ne peut plus contemporain.
L’intrigue s’attache donc à décrire la métastase capitaliste au sein d’un système et l’avènement d’une nouvelle ère dans un pays qui ne restaure finalement pas grand-chose tant les lois du marché ont déjà huilé les rouages. Pour passionnante que ce soit cette leçon d’Histoire, les passerelles n’en sont pas moins très didactiques, et les clins d’œil pesants. La présentation du système par Vincent Lacoste, le marché autour de l’éditeur Depardieu ont certes la saveur du double langage, (jeux de mots, dans la voix off, sur le Canard enchaîné ou le Masque et la plume…) mais font aussi basculer le film dans une démonstration appuyée qui, à force de lorgner vers le spectateur contemporain, en dilue ses forces. (Sur le même sujet, on préférera le Mank de Fincher).
Un brin trop scolaire, y compris dans cette voix narrative qui bien souvent explicite ce que l’image pouvait aussi nous dire, le film ploie par moments sous l’ampleur de ses enjeux, et ne fait pas suffisamment confiance à son spectateur. Ce qui n’est pas sans ironie lorsqu’on constate qu’on y fustige le mépris de la presse pour ses lecteurs, ou la manière dont un escroc dirige les sifflets ou les sifflets sur commande dans les salles de théâtre. Mais le désir de tout décrire, expliciter et mettre en perspective était bien le cœur du projet de la Comédie Humaine, régulièrement parsemée de leçons de vie au présent de vérité générale : on aura donc le tact de considérer ces pesanteurs comme un pastiche, voire une déférence à l’auteur aux origines de cette fascinante et maladive fresque sociale.
Sergent Pepper