Focus sur le dernier week-end du 13e Festival Lumière. La manifestation cinématographique cru 2021 (à la mémoire de l’irremplaçable Président de l’Institut Lumière, le maître conteur Bertrand Tavernier) a décerné son prestigieux Prix Lumière à la réalisatrice Jane Campion.
Vendredi 15 octobre. 21H33
Salle 3000 de l’amphithéâtre du Centre des congrès de Lyon. « Venir ici, c’est un peu comme venir à Bethléem ! » s’émerveille l’importante Jane Campion lors de son discours de la remise du Prix Lumière 2021, véritable Prix Nobel du 7ème art. La nouvelle récipiendaire illustre en une formule la pensée de nombre de pèlerins cinéphiles, qui se retrouvent chaque année avec foi, sur la Terre natale du cinématographe, né en 1895. Un lieu de pèlerinage divin, dont même la plaie du virus COVID-19 n’avait pas réussi l’année dernière, en pleine crise pandémique, à fermer complètement, tel un tombeau, le déroulement du festival, un miracle… Cette année « La Mecque » du cinéma honore une sacrée femme ! Même vêtus de masques, la ferveur des croyants en cinéma résonnent dans les travées après avoir fait la croix et la bannière afin d’assouvir leur culte et pour assister au sacre de la néo-zélandaise. Un enthousiasme rejoint dès le début de la soirée à travers les mots enjoués de Thierry Frémaux délégué du Festival, et par la voix de la précieuse Irène Jacob, nouvelle Présidente inspirée fraîchement élue par le conseil d’administration qui s’adresse ainsi directement à Jane Campion « Quelle fête, quelle joie de célébrer vos films ce soir. » Les déclarations d’amour pour l’artiste se succèdent, à travers la profession de foi de Luc Dardenne (accompagné par un portrait en carton de son frère), le slam poétique d’Abd Al Malik accompagné par le pianiste Didier Martel déclinant la partition musicale de La leçon de piano composée par Michael Nyman.
Mais surtout par les pertinentes vibrations artistiques féminines déclamées par la photographe Nan Goldin et la metteuse en scène (à l’occasion de l’exposition photo à la Galerie du cinéma et de la restauration du singulier long métrage Variety sorti en 1983) ainsi que les témoignages touchants des consœurs Alice Rohrwacher « Chère Jane, tu as changé ma vie, mais aussi la notre (…) Tu es pour nous une maestra. » et Julia Ducournau (seconde femme seulement à obtenir la palme d’or au dernier Festival de Cannes avec son film Titane), qui déclare emplie de trémolos dans la voix avant de remettre en main propre le trophée à la précurseur Jane Campion (première femme à avoir obtenu la Palme d’or du court-métrage avec Peel en 1986, puis Palme d’or pour La Leçon de piano en 1993, avant d’être encore la première femme présidente du jury du même festival) : « On ne s’est jamais rencontrées. Pourtant, depuis quelques mois, elle m’acompagne partout. Il n’y a pas un jour au cours duquel je n’ai pas pensé à elle. Quand j’étais sur la scène du Festival de Cannes en juillet, penser à elle m’a aidé à ne pas ployer sous l’émotion qui me submergeait. J’ai essayé de me mettre à sa place, à la solitude de la première femme. J’ai réalisé que bien avant que je ne devienne femme, elle m’avait déjà, à travers chacun de ses films, sauvé de ma solitude. Elle m’a montré que devenir une femme, c’est savoir se battre pour être libre et le rester. Elle m’a montré mon humanité dans ce qu’elle a de plus vulnérable et attachant, montré le pathos et la pitié de mon existence, mais sa beauté aussi. C’est avec amour et avec une immense émotion que je remets le Prix Lumière à l’immense Jane Campion. » Sur les notes festives de l’enflammé titre Beds are Burning du groupe australien Midnight Oil et la salve d’applaudissments, les deux artistes se retrouvent sur la scène pour une photo historique sous l’égide d’une émouvante sororité générationnelle lors de la remise du Prix Lumière. « Je suis très émue par cet hommage. En Nouvelle-Zélande, on n’est pas habitué à ça. C’est une grande surprise d’entendre à quel point mon cinéma a touché toutes toutes ces réalisatrices ici présentes. Le cinéma m’a donné vie et je suis heureuse de pouvoir le rendre. C’est embarrassant de pleurer à sa propre cérémonie. Je suis très touchée de l’accueil que vous m’avez fait à Lyon et de voir que vous aimez le cinéma autant que je l’aime.» confie t-elle devant la fervente assemblée totalement conquise. Puis lumières éteintes, la soirée se prolonge par le biais de la superbe projection du somptueux et romantique Bright Star (2009), un magnifique hommage à la magie de la poésie du britannique John Keats (1795-1821).
Le lendemain matin, encore toute auréolée de la célébration de la veille, avec classe et humilité la réalisatrice joue le jeu de la conférence de presse, accompagné par le critique Michel Ciment, écrivain de l’indispensable Jane Campion par Jane Campion (2014, Éditions Cahiers du Cinéma) et Thierry Frémaux et se livre avec humour : « Les personnages principaux de mes films ont généralement tous un problème d’adaptation avec le monde qui les entoure. Dans mes films la trajectoire intérieure est plus important que la fin du voyage (…) Mes principales inspirations viennent de la littérature (les sœurs Brontë, John Keats…). En ce qui concerne mes influences cinématographiques, j’aime tout ce qui est bien fait ! Terrence Malick, l’énergie folle de Kubrick, de Bunuel, Coppola qui est vraiment une source d’inspiration dans ses choix d’acteurs. Julia Ducournau dont j’ai découvert Titane jeudi est une voie unique et très puissante et elle deviendra également une source d’inspirations. Pour Power of the dog (nouveau somptueux long métrage de la réalisatrice disponible à partir du 1 décembre 2021 sur Netflix) par rapport au budget important de tournage j’ai dû me tourner vers la plateforme Netflix qui était la seule à pouvoir s’engager sur une telle somme. Je regrette moi aussi profondément que mon nouveau long métrage ne puisse pouvoir se voir en salles. Je suis tombée amoureuse du livre de Savage, j’ai laissé le livre enrouler ses tentacules autour de moi. Malgré leurs duretés et leurs complexités il y a de la tendresse pour tous les personnages du film. Et la nature très présente dans tous mes films révèlent les sentiments. (…) Quant à mes talents de musicienne, j’ai essayé de jouer au piano mais le résultat était vraiment moyen (rires). » Après la conférence de presse, la réalisatrice radieuse sous un ciel bleu azur prend possession des caméras installées Rue du Premier Film, afin de signer de sa touche personnelle le traditionnel remake de Sortie d’usine Lumière (le premier film de l’Histoire du cinéma imprimé sur une pellicule, et dirigé par les frères Lumière en 1895). Jane Campion donne quelques orientations « On va ajouter quelque chose : ceux qui vont à gauche sont heureux et ceux de la droite sont déprimés. Est-ce que quelqu’un à un problème avec le fait d’être heureux ou déprimé ? » puis en trois prises le tour était joué, sous les acclamations de la foule ravit d’avoir pu assister à la scène avant le clap final à la Halle Tony Garnier bien remplie, pour assister à la festive cérémonie de clôture avec la projection en version restaurée 4K du bouleversant La Leçon de piano
[Ciné-classiques] La leçon de piano – Jane Campion (Palme d’or 1993)
Après neuf jours de communion lors de ce Festival Lumière 2021 si particulier, on peut amplement saluer un véritable succès pendant cette grande messe à la gloire du septième art sur grand écran, dont les émotions n’ont pas d’autres desseins équivalant que de s’y retrouver et de s’y partager entre fidèles. Une religion entre initiés au nombre de 145 000 âmes avides de découvrir en exclusivité les œuvres inédites et restaurés grâce à Carlotta Films de Kinuyo Tanaka (réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais dont les films sortiront en salles en avril 2022), de redécouvrir l’Amérique par le regard de Sidney Pollack, le cinéma populaire de Gilles Grangier, les aventures d’Antoine Doisnel (parmi les plus beaux films de François Truffaut de 1959 à 1979), ou encore la remarquable Trilogie Infernal Affairs (2002-2003) notamment. Tant de cinéastes prêcheurs d’émotions programmés en 169 films, dévoilés au sein des différentes paroisses obscures lyonnaises, sous la protection de la basilique Notre-Dame de Fourvière et le regard bienveillant du maître pêcheur Bertrand Tavernier dont sa mémoire aura continué de nous accompagner par le biais d’une touchante photo sur le mur du Hangar de l’institut Lumière, et à travers différentes déclinaisons d’images dont son fameux et délicieux « Welcome in Lyon ! » à l’accent tavernien inimitable. « Un seul être vous manque tout est dépeuplé. » scandait le mécréant Alphonse de Lamartine, Lyon la rebelle prouve encore le contraire, et la compétente et éclairée Irène Jacob s’avère prête à remplir sa mission de reprendre l’incandescent flambeau de « Tatave » avec précision et délicatesse. Alors les yeux tournés vers le ciel nous pouvons nous dire au revoir, et à l’année prochaine, si Dieu le veut…
Sébastien Boully