Guitariste renommé de la scène indie new-yorkaise, Mike Bones a peut-être bien réalisé avec Bianca, le second album de son projet Weak Signal, l’un des plus beaux disques de « Rock dur mais mélodique » de 2021. Ne passez pas à côté !
« Ooh, ooh / I’m a fire, I’m a fire, I’m a fire / Ooh, ooh / Burn the world, I’ll burn the world » (Ooh, (ooh / Je suis un feu, je suis un feu, je suis un feu / Ooh, ooh / Brûler le monde, je vais brûler le monde) sur I’m a Fire en ouverture de l’album au « I’ll stay where I wanna stay / And I’ll go where I wanna go / And I’ll love who I wanna love / And I’ll leave when I wanna leave » (Je resterai où je veux rester / Et j’irai où je veux aller / Et j’aimerai qui je veux aimer / Et je partirai quand je veux partir) de I’ll Stay, en passant par « Not thinkin’ straight, I need to shower / Come back, come back » (Je n’arrive pas à penser clairement, j’ai besoin d’une douche / Reviens, reviens) sur Come Back, les paroles de Bianca, le second album de Weak Signal ne vous feront pas mal à la tête. Mais comme tout le monde ne peut pas être Leonard Cohen, ni même Kurt Cobain, que cela ne vous arrête pas pour autant : Bianca est un choc. Il alterne avec une efficacité confondante les morceaux brutaux, directs, sévères comme on disait à une époque, avec les chansons aux mélodies et aux atmosphères envoûtantes : du p… de rock’n’roll dans ta face, bébé, comme on écrivait aussi à une époque encore plus lointaine où on croyait encore que pour convaincre les gens d’écouter de la musique, il suffisait d’un peu de street credibility et de vulgarité rebelle.
Ce n’est pas complètement par hasard que nous avons mentionné Cohen : la voix grave et désabusée de Mike Bones, la voix de quelqu’un qui en a déjà vu de toutes les couleurs, est belle (Borderzone, , blessé, magnifique…). Ni Kurt Cobain parce que même dans la simplicité de chansons réduites à une sorte de rudesse essentielle, il n’y a pas beaucoup d’espoir non plus qui surnage : sur le single (!) Drugs in My System, Mike récite d’un air mi-hébété, mi-provocateur : « I can’t go to work / There’s no way I’m gettin’ on the bus like this / I got drugs in my system » (Je ne peux pas aller travailler / Il n’y a aucune chance que je monte dans le bus comme ça / J’ai de la drogue dans mon système), et le fantôme de l’ami Kurt passe en douce à l’arrière-plan.
Pour le coup de poing en pleine figure, nous avons un peu exagéré : au-delà de quelques brûlots purs et durs comme l’impérial Voice Inside My Head ou Don’t Turn Around, la musique de Weak Signal est plus fondamentalement menaçante, voire dérangeante, que réellement violente, mais il est indiscutable que, écoutée à un volume sonore suffisamment élevé, chacune des 12 courtes chansons ici présentes est capable de laisser des marques sur la peau, au minimum. Bon, il y a aussi I’ll Stay, qui est plus longue et plus lente, qui ressemble plus à une sorte de dérive introspective au fil de l’eau, mais qui finit inévitablement dans un déluge d’électricité. Et cette une (petite) dose de rock’n’roll qui fait danser, avec un demi sourire désabusé au coin des lèvres, comme sur Sorry par exemple…
De la street credibility, Mike Bones n’en manque pas : il n’est pas un perdreau de l’année, même si sa célébrité en France est encore trop limitée. Il est même considéré comme l’un des meilleurs guitaristes de la scènes indie de New York : sous son vrai nom de Mike Strallow, il s’est illustré au sein de groupes qui ont fait parler d’eux comme Soldiers of Fortune. Pour ce (relativement) nouveau projet, il a monté une sorte de power trio version XXIè siècle avec deux filles, Tran Huyng à la batterie et Sasha Vine à la basse, et adopté le nom intéressant de Weak Signal, qualifiant un signal annonciateur d’événements (importants) à venir.
Sur Bianca, deux ans après une première tentative simplement nommée LP1, on ose affirmer que tout est… « parfait » : le son de la guitare est méchant et énorme, sans être caricatural pour autant, la section rythmique tape dur, très dur, les mélodies sont simples mais efficaces, parfois presque pop. Mais le plus frappant, on y revient, est sans doute ce chant (sauf sur l’intro, très accrocheuse, I’m a Fire où Mike cède complètement le micro à l’une de ses acolytes) calme, épuisé et pourtant implacable, réussissant à maintenir à distance la violence du monde, mais laissant entrer la crainte ni le malaise. On pourrait même affirmer qu’il y a quelque chose de profondément « velvetien » dans des chansons comme Come Back ou Barely A Trace, qu’on imagine bien Lou Reed et Nico chanter ensemble tandis que Moe Tucker martèle ses fûts derrière…
Et quand le chaos électrique final de Too Strong s’interrompt brutalement, nous laissant orphelins de toute cette beauté, de toute cette énergie, on se dit que l’on tient peut-être là un groupe majeur. Ou tout au moins un nouveau groupe de chevet.
Eric Debarnot