S’il faut regarder le faux remake du chef d’œuvre de Bergman qu’est Scenes from a Marriage, c’est pour la performance de ses deux acteurs, et pour la justesse de la description d’une perversion narcissique au féminin. Pour le reste, la nouvelle mini-série de Hagai Levi souffre de plusieurs défauts…
Il faut d’abord prévenir les fans de Bergman et de son séminal Scènes de la Vie Conjugale : contrairement aux effets d’annonce et à la traduction de son titre en français, Scenes from a Marriage n’a pas grand-chose à voir, ni dans le fond, ni dans la forme, avec le chef d’œuvre bergmanien. Après un premier épisode qui reprend, en effet, le thème du dîner entre deux couples, Hagai Levi, créateur et scénariste de cette mini-série, fait ce qu’il sait faire de mieux depuis Be Tipul, c’est à dire une approche exhaustive, très professionnelle et néanmoins sensible de la psychothérapie… appliquée cette fois à un couple en perdition.
Ceci posé, nous sommes en face ici d’un très beau travail de toute l’équipe de la série, en commençant bien entendu par la justesse de l’écriture de Levi qui dépasse aisément les poncifs du malaise du couple contemporain – sujet des plus usés et ayant donné lieu à tellement de mauvais films, en particulier en France, qu’il effraie d’emblée – livre une analyse totalement pertinente de l’hystérie et de la perversion narcissique au féminin. Ces affections, elles aussi bien connues par les psychothérapeutes, mais souvent ignorées dans la vie quotidienne par ceux qui en sont victimes, sont ici parfaitement incarnées par une Jessica Chastain, qui n’a peut-être jamais été meilleure que dans le rôle de cette femme jouant à détruire son couple pour provoquer une réaction de son mari, et se retrouvant – en particulier dans le quatrième épisode passionnant, sommet de la mini-série – piégée par le mécanisme destructeur qu’elle a mis en branle et qu’elle croyait contrôler.
Toutes les critiques ont pointé avec justesse la complicité entre Chastain et Isaac, proches amis dans la vie et issus de la même école d’acteurs, et il est vrai qu’il est magnifique d’observer le travail de ces deux vrais « grands » qui nourrissent leurs personnages de leurs liens dans la réalité : ils portent régulièrement Scenes from a Marriage vers les sommets, et constituent la meilleure raison de regarder la mini-série…
Pour le reste, c’est à dire au-delà de ce qui est ici au centre, ces cinq dialogues ininterrompus d’une heure entre un mari et une femme qui s’aiment, se désirent, et n’arrêtent pas sans jamais y arriver vraiment, de se quitter, on sera nettement moins enthousiaste vis à vis à de nombreux aspects de la série. Le choix de protagonistes très aisés, faisant partie d’une certaine élite financière des USA, les privera certainement de l’empathie de nombreux téléspectateurs ; le fait de faire clairement de la femme la source du conflit, alors que l’homme souffre avant tout des travers classiques de l’éducation judaïque – bien connus de tous les fidèles du cinéma de Woody Allen – mais recueille la plupart du temps notre sympathie, est également un peu gênant ; quant à l’idée d’une mise en abyme de la fiction en encadrant les chapitres de brèves introductions ou conclusions montrant – ou plutôt prétendant montrer – le filmage, l’équipe technique et les acteurs dans notre monde du Covid19, elle a tout d’une coquetterie arty, d’un geste artistique complètement inutile, car sans aucun impact sur le récit ni sa perception par le téléspectateur.
Mais la plus grosse déception d’une série qui ne fera finalement que frôler occasionnellement l’excellence, c’est bien sûr son cinquième chapitre, ennuyeux et inutile, voire illogique par rapport à tout ce qui a précédé : c’est certes le seul faux pas de la construction scénaristique, mais comme c’est la conclusion de Scenes from a Marriage, il nous laisse avec un sentiment d’insatisfaction des plus regrettables.
Eric Debarnot