Réédition en CD de l’album Toccare La Verita (1984) de Warum Joe, précurseur d’un synthé-punk polémiste qui fera des émules.
Écouter Warum Joe à l’aube des années 80 n’avait rien d’une sinécure. Contrairement à Métal Urbain, autre formation parisienne de punks nihilistes s’adonnant à un électro punk original dès 1977 et dont le 45T Paris Maquis sortira chez Rough Trade, Warum Joe reste un épiphénomène français qui composera une pléthore de micro-tubes, honorés par l’usure prématurée de Rangers et Creepers sur des dancefloors pouraves. On ne compte plus les coups de tatanes distribués sur Bogota ou Casablanca issus de leur premier mini album Tanzen&Trinken (1982). Avec un engagement historico-politique, le groupe dénote des autres formations de par son approche post-punk synthétique aux guitares garages, à la boite à rythmes minimaliste surnommé un temps Cabaret Voltaire, aux synthés bruyants et surtout d’une voix. Celle de Pascal Sabotier qui distille, sur un ton détaché et martial, des histoires de Datcha et d’Electrolyse.
Produit par Ross Graham, l’album Toccare La Verita sort en 1984 chez New Rose : « Le producteur était celui des Outcasts. Il voulait nous donner un son à la Velvet Underground, l’ingénieur du son lui n’aimait carrément pas ce qu’on faisait, ça lui paraissait complètement dépassé, à la fin il a craqué et ne participait plus aux sessions ». La pochette reprend l’imagerie guerrière comme beaucoup de pochette chez Warum Joe.
Des quinze titres, Le Camionneur, Les Avortons et Gesellschaft sont de véritables brulots pour les jambes et l’esprit. Accrocheurs, ils sont la quintessence du style Warum Joe. En français, Pascal Sabotier nous relate des histoires de classe prolétarienne et de laissés pour compte. Le synthé de Laurent Sabotier plaque des sons de basses entremêlés à des interventions furibondes usités chez Devo. La guitare de Pierre Gobillo est sale et brillante, distorsionnée et claire, accompagnée de chœurs qui respirent la franche camaraderie. Le groupe se permet une reprise inattendue et réussie de L’Aigle Noir de Barbara.
À l’instar d’Indochine, une guitare surf tord le bras aux riffs sur Le Corbeau, Jubile ou Commandant Zero, et des arrangements plus construits apparaissent sur Salt, alors que Cineccita et État de Grâce servent de trampoline autant à Frustration qu’aux Prince Harry et Perm 36. Un sax furax embellit Les Cosmopolites, des synthés maboules maltraitent Ukraine Hop et se montrent plus indus sur Vent Divin. En quinze titres, Warum Joe enfonce les clous du cercueil punk-rock pour redéfinir le synthé-punk comme un style à part entière au coté de Charles De Goal ou D.Stop. Depuis, le groupe qui existe toujours en 2021, reste rare et discret : « C’est plutôt notre inaptitude à la prostitution qui préserve notre état d’esprit […] Le bouche-à-oreille tient ensuite son rôle de mèche lente et travaille à notre place. »
Mathieu Marmillot