[Arte] « Anna », la superbe mini-série italienne de Niccolò Ammaniti

À quoi ressemblerait un monde sans adultes ? « À un monde d’adultes ! », répond Niccolò Ammaniti dans Anna, 6 épisodes d’une mini-série délirante, onirique, poétique, violente sur un monde post-apocalypse peuplé d’enfants et d’adolescents.

Anna
Giulia Dragotto – Copyright AMC+

Niccolò Ammaniti est un auteur plutôt prolixe. Pas loin d’une dizaine de romans entre Branchie qui date de 1995 et Anna publié en 2015 en version originale (2016 pour la traduction française). Et un auteur à succès. D’abord parce que ses romans sont lus. Ensuite parce qu’ils sont couronnés de prix : le prix Viareggio pour Io non ho paura (2001) et le prix Strega en 2006 pour Come Dio comanda Comme Dieu le veut, en 2008. Enfin, parce qu’ils sont adaptés au cinéma : 5 fois depuis 1998. Niccolò Ammaniti ne fait pas qu’écrire. Il tourne aussi. Et avec succès aussi. Il y a eu Il Miracolo, réalisée en 2017 pour Sky et diffusée en France sur Arte : une mini-série vaguement dystopique, lente et angoissée au centre de laquelle se trouve une vierge en plastique pleure des larmes de sang qui fait vaciller les certitudes d’une Italie en manque total de repères. Et maintenant, il y a Anna, d’après son propre roman.

Anna afficheAnna se passe dans une Sicile dévastée par une maladie terrible — la rossa, une fièvre rouge — qui tue les adultes, en l’occurrence toute personne ayant dépassé la puberté. Cela vous rappelle quelque chose ? Détrompez-vous. Toute ressemblance avec une situation récente et connue de tous est purement fortuite. D’ailleurs, un cartel inséré au début de chaque épisode nous informe que “L’épidémie de Covid-19 a éclaté 6 mois après le début du tournage” et nous rappelle que la “série est inspirée d’un roman éponyme paru en 2015.” Rien à voir avec le virus et la pandémie donc. Mario Gianani, un des producteurs, a insisté sur ce point quand le tournage de la série a été interrompu pour cause de confinement.

Avec raison. Anna appartient plutôt à la tradition des œuvres post-apocalyptiques comme, pour ne citer que les plus récentes, The Road de Cormack McCarty, Fever de Deon Meyer ou Station Eleven d’Emily St-John Mandel. Anna s’inscrit aussi dans la suite du Lord of the Flies de William Golding. C’est bien de cela dont il s’agit dans la série : d’un monde dévasté où ne vivent que des enfants et des adolescents prépubères, au nombre desquels Anna Salemi et son petit frère Astor, quelques années de moins. Depuis que leur mère a succombé à la maladie, Anna s’occupe d’Astor : elle lui promet que tout ira bien, quitte la maison pour chercher à manger, inlassablement. Jusqu’au jour où Astor se fait enlever par les « bleus », appelés ainsi parce qu’ils se recouvrent de peinture bleue plus ou moins par croyance que cela les guérira de la fièvre rouge… Anna part à la recherche d’Astor, doit lutter avec les uns et les autres, le retrouve, le sauve, se sauve elle-même. Rien n’est simple dans cette Sicile mais retournée à l’état de nature où les seules règles sont celles que commande l’envie irrépressible de survivre.

Niccolò Ammaniti nous montre un monde presque sans pitié et sans affection ou sympathie. Un monde de désespoir, d’espoir, de peur. Un monde délirant, onirique, poétique où on on voit des enfants et adolescents se raconter des histoires plus ou moins somptueuses ou macabres, se construire des mythes pour vivre avec la mort, avec la certitude que cette mort viendra vite, à un âge où la mort n’est pas supposée arriver. Un monde où la violence est omniprésente, crue, brutale sans filtres. Une violence qui éclate au grand jour, dans la lumière vive, pure des journées ensoleillées d’une Sicile superbe. Une violence sombre et froide, cachée dans des caves humides et moisies. Niccolò Ammaniti joue avec les contrastes, les couleurs, les ambiances. Tantôt intimes—quand Anna est avec son frère ou son petit amie. Tantôt collectives—des foules d’enfants hystérisés par des adolescents qui se sont érigés en chefs… Niccolò Ammaniti joue avec les rythmes, alternant scènes lentes et rapides. Là où Il Miracolo progressait avec une sorte de lenteur majestueuse, Anna avance par à-coups, sans pour autant que ce soit un défaut.

Niccolò Ammaniti joue aussi avec les messages, qu’il a tendance à multiplier, laissant à chacun la responsabilité d’y voir ce qu’il veut. L’envie animale de survivre, de se battre, le besoin d’amour et de spiritualité, l’importance et la difficulté d’être différent, l’espoir que la mort n’arrivera pas, la croyance que la mort n’arrivera pas. Faites votre choix.

 

Anna
Copyright FR_tmdb

Le message le moins probable serait celui selon lequel Anna nous dirait qu’un monde d’enfants d’adolescents n’est guère plus aimable et amical, plus bienveillant qu’un monde dans lequel il y aurait des adultes. Car, un monde où les adultes ont disparu redevient rapidement un monde avec adultes : dans ce monde post-apocalypse, les plus âgés des survivants deviennent les « adultes » de l’histoire et se comportent comme des adultes vis-à-vis des plus jeunes. Ils ont compris qu’ils allaient mourir, ce qu’ignorent encore les plus jeunes qui peuvent jouer comme si de rien n’était (ou presque). Mais cela ne les incite pas à essayer de profiter du temps présent. Non. Ils vivent comme leurs parents ont vécu, amassent des richesses, échangent, commercent. Ils bâtissent des groupes et des tribus, élaborent des mythes pour permettre aux chefs de rester des chefs…

Anna est une série sur la vie et sur cette tendance irrépressible que les êtres humains ont à reconstruire leurs sociétés une fois qu’elles ont été détruites. Et de les reconstruire à l’identique.

Alain Marciano

Anna
Minisérie Italienne créée par Niccolò Ammaniti
écrite par Niccolò Ammaniti et Francesca Maniero
dirigée par Niccolò Ammaniti
Avec : Giulia Dragotto, Alessandro Pecorella, Elena Lietti, Roberta Mattei, Giovanni Mavilla, Clara Tramontano, Viviana Mocciaro, Nicola Mangano
Genre : fantastique-onirique
6 épisodes de 50 minutes disponibles sur arte.tv

http://www.arte.tv/fr/videos/105724-000-A/anna-derriere-les-coulisses-de-la-serie/