Si l’on célèbre depuis des années le cinéma si particulier et si séduisant de Wes Anderson, l’absence de renouvellement de son système esthétique et narratif ne le conduit-il pas vers une stérilité mortifère ? C’est la question qui se pose devant son The French Dispatch.
On ne fait plus guère attention aux détails de présentation d’un nouveau film de Wes Anderson : on sait que le casting sera pléthorique, que les décors seront incroyables, la composition du cadre réglée au millimètre et la cadence donnée par Desplat. Ce qu’on attend en y retournant, c’est de retrouver le plaisir à nulle autre pareille que dégage son cinéma : cette saveur liée au raffinement, ce charme au ton pastel et l’ivresse d’une dynamique chatoyante.
Autant d’éléments promis par l’ouverture et le premier segment de The French Dispatch, qui pose sa caméra dans l’antenne française d’un journal texan, et déploie, en fonction des sections du magazine, des thématiques diverses (politique, art, sport, gastronomie…). La présentation de la ville française (Angoulême, rebaptisée sans grande inspiration Ennui-sur-Blasé) ne manque pas de piquant, le réalisateur se plaisant à explorer toutes les richesses d’une carte postale de l’Ancien Monde, dont certaines images renvoient d’ailleurs à Tati dans leur construction et la dynamique qui les anime. Le premier chapitre, consacré à l’art, comble toutes les attentes qu’on peut avoir à l’endroit de l’esthète Anderson. On y voit la gardienne de prison Léa Seydoux devenir modèle pour un détenu (Benicio del Toro) avant qu’un galeriste (Adrian Brody) ne décide d’en faire grimper la côte. L’arrivée du corps nu chez Anderson sonne d’emblée comme une déflagration de maturité, et les différentes réflexions sur l’art – l’inspiration, la transformation, sa récupération – font mouche. En résulte un segment qui, autant sur le plan plastique (les scènes faussement figées des foules en débat, le jeu sur les ellipses, la beauté frontale de la femme) que du propos (un éloge du mutisme, du mystère, et, par instant, d’une certaine forme de lenteur) tient toutes ses promesses.
Il n’en sera malheureusement pas de même pour la suite : même si le réalisateur aborde d’autres thématiques, comme la révolte étudiante, les forces de répression ou quelques questions sociales, il enferme ses sketches dans une rythmique d’enfer qui donne proprement le tournis. Le casting se limite, pour certains, à des caméos de quelques secondes, pour des plans souvent splendides sur le plan graphique, mais qui s’enchaînent à une vitesse telle qu’on ne peut même pas prendre le temps de les savourer. On retrouve ici la course folle qui animait une grande partie de Grand Budapest Hotel, mais dans une logique beaucoup gratuite, pour une galerie de pantins auxquels on n’accorde pas grand crédit. Le recours à l’animation, d’une grande laideur, ajoute à l’embarras tant elle semble prendre le relai de ce que le budget ne semblait pas autoriser à filmer en prises de vues réelles… La romance entre Chalamet et McDormand parait au mieux incongrue, mais ne convainc pas, de même que les protagonistes enfants n’ont jamais le temps d’exister, et d’emprunter la présence touchante que pouvaient avoir ceux de Moonrise Kingdom.
À mesure que se déroule cette succession de sommaires et d’apparitions fugaces, le triste sentiment d’être arrivé au bout du parcours s’impose : Wes Anderson, en pleine possession de ses moyens esthétiques, livre une copie rutilante qui a tout d’une coquille vide, et qui s’épuise à étourdir pour faire oublier sa fadeur. On repense alors au prologue, qui annonçait déjà qu’à la mort du rédacteur en chef (Bill Murray, qui d’autre, mais dont la présence restera fantomatique), le journal disparaitrait, limité à la lubie d’un seul homme. Cette façon de présenter le support comme clos sur lui-même, et promis à l’extinction, annonce bien les limites du film : The French Dispatch a beau aller à toute allure, il n’en reste pas moins un corbillard.
Sergent Pepper