Encore un album de Lana del Rey, demanderez-vous ? Et avec toujours le même genre de musique ? Oui… mais Blue Banisters nous offre ce supplément d’âme, d’honnêteté aussi, qui lui permet à Lana de se transcender à nouveau !
Six mois seulement se sont écoulés depuis la sortie de Chemtrails Over the Country Club, le précédent album de notre très chère diva post-moderne Lana del Rey, et nous voilà déjà condamnés à affronter un double album de 15 chansons et 62 minutes, Blue Banisters. Avec au départ, un soupçon d’incrédulité et de découragement, car une première écoute superficielle confirme l’évidence d’une « formule » qui risque bien de ne pas changer de sitôt : une ambiance générale mélancolique, une absence de mélodies immédiatement accrocheuses, un chant exceptionnel qui permet de se concentrer sur les textes et sur l’émotion qui prévaut systématiquement… Rien de nouveau donc sous le soleil californien, si ce n’est que le dépouillement initié en 2019 reste à l’heure du jour, et qu’une sorte d’élégance américaine « traditionnelle » permet aux connaisseurs du genre de relier le travail de Lana – et les thèmes que ces chansons explorent – aux grandes chanteuses de Country.
Bref, disons que les fans de Lana seront comme toujours séduits, et ceux qu’elle n’intéresse pas répéteront que tout cela est bien ennuyeux. Et nous pourrons arrêter de parler de Blue Banisters et nous concentrer sur le dernier album à la mode de jeunes énervés qui font tonner leur électro… Mais reconnaissons que cette lassitude possible de l’amour, Lana n’a pas peur de l’anticiper : dans une chanson que l’on peut à volonté lire comme un commentaire méta sur notre amour de fans, If You Lie Down with Me, Lana choisit de nous séduire à nouveau : « And don’t say you’re over me / When we both know that you ain’t / Don’t say you’re over me / Babe, it’s already too late / Just do what you do best with me » (Et ne dis pas que je ne te plais plus / Quand nous savons tous les deux que ce n’est pas vrai / Ne dis pas que c’est fini / Bébé, c’est trop tard pour ça / Fais juste ce que tu fais le mieux avec moi)… avant qu’un final jazzy ne nous envoie danser à travers la pièce…
Car les choses sont évidemment beaucoup moins simples que cette première écoute pouvait le laisser croire. Certains commencent même à dire que Blue Banisters est l’un des plus beaux disques de Lana del Rey (ce qu’ils ne disaient pas du précédent opus, en général). Mais, surtout, une écoute plus attentive permet de reconnaître que le dépouillement élégant de la production (confiée à toute une clique de professionnels différents, qui n’ont de toute manière aucune importance, puisque Lana fait du Lana…) s’accompagne cette fois d’un niveau d’honnêteté, presque de transparence, inhabituel chez une artiste qui a trop souvent joué derrière le voile d’un romantisme nostalgique un peu suranné, ou en tout cas désormais convenu (Hollywoood vu par David Lynch, ce genre de choses…).
L’intro, sur un Text Book immédiatement bouleversant, voit Lana mettre toutes ses cartes d’emblée sur la table, et ça fait évidemment mal quand elle revient sur les causes de ses désastres amoureux : « I guess you could call it textbook / I was lookin’ for the father I wanted back » (Je suppose que tu pourrais qualifier ça de pure évidence / je cherchais le père que je voulais retrouver). Mais à la différence de ces albums précédents, il y a cette fois – et ce sera vrai pour une bonne partie des chansons de Blue Banisters -, la volonté de repartir positivement vers l’avant : « Let’s rewrite history, I’ll do this dance with you / You know I’m not that girl, you know I’ll never be / Maybe just the way we’re different could set me free » (Réécrivons l’histoire, je vais accepter de danser avec toi / Tu sais bien que je ne suis pas cette fille, tu sais bien que je ne le serai jamais / Peut-être que le fait que nous soyons si différents pourrait me libérer).
Moins classique que son prédécesseur dans la forme de ses chansons, Blue Banisters, tout en restant dans les tonalités mid-tempo qu’affectionne Lana, semble témoigner d’une liberté d’écriture et de chant nouvelles. Arcadia laisse entrer un lyrisme quasi symphonique qui dégage une magie que Lana avait peut-être perdue : « In Arcadia, Arcadia / All roads that lead to you as integral to me as arteries / That get the blood flowing straight to the heart of me / America, I need a miracle / I can’t sleep at home tonight, send me a Hilton Hotel / Or a cross on the hill, I’m a lost little girl / Findin’ my way to you, Arcadia » (En Arcadie, Arcadie / Toutes les routes qui mènent à toi me sont aussi indissociables que ces artères / Qui font couler le sang directement de mon coeur / Amérique, j’ai besoin d’un miracle / Je ne peux pas dormir chez moi ce soir, envoie-moi un hôtel Hilton / Ou bien sur une croix au sommet d’une colline, je suis une petite fille perdue / Qui cherche son chemin vers toi, Arcadie). Dealer, une chanson datant de 2017, co-écrite et au chant partagé avec Miles Kane (quand même assez méconnaissable ici !) va chercher un registre soul plus extraverti, plus provocant. Le dernier titre de l’album, Sweet Carolina, composé avec son père et sa sœur, conjugue excès vocaux et dérapage étonnant dans le texte : « You name your babe Lilac Heaven / After your iPhone 11 / « Crypto forever, » scrеams your stupid boyfriend / Fuck you, Kevin » (Vous appelez votre bébé « Lilac Heaven » / d’après votre iPhone 11 / « Crypto pour toujours », crie ton crétin de petit ami / Va te faire foutre, Kevin !).
En fait chacun des titres réunis ici, y compris le petit délire instrumental et idiot de Interlude -The Trio d’après Morricone, est comme une pièce de puzzle : une fois l’image complète reconstituée, nous sommes face à une nouvelle Lana del Rey : une image d’elle plus juste, plus vraie.
Et ça, c’est, sans aucun doute, absolument bouleversant.
Eric Debarnot
Lana del Rey – Blue Banisters
Label : Universal Music
Date de parution : 22 octobre 2021
Lana Del Rey – Chemtrails Over the Country Club : folk dépouillé et émotions intenses