Continuons d’explorer l’univers délicat du pianiste allemand Tim Linghaus, son rapport à la mémoire et aux disparus, son rapport au monde, à ce chaos qui l’effraie. Tim Linghaus est tout sauf un artiste dans sa tour d’ivoire. Il est peut-être juste à côté de nous dans un autre espace-temps l’espace d’une mélodie de piano qui en appelle une autre et encore une autre.
Qu’on se le dise, l’allemand Tim Linghaus a sorti cette année un disque bouleversant de simplicité et de clarté, un peu à l’image de ce que le prodige Thomas Bartlett nous avait proposé en 2020 avec le sublime Shelter. Tim Linghaus nous explique cette capacité qu’il ne perçoit même pas en lui à créer des passerelles entre les individus, les temps passés. Retour sur une réussite modeste mais tellement sincère.
Parfois à l’écoute de votre musique, on ne sait trop si on navigue entre rêve et réalité, c’est à cela que doit ressembler un souvenir selon vous ?
Tim Linghaus : Je ne crois pas qu’un souvenir ressemble à cela pour moi. Les rêves c’est vraiment un tout autre sujet. Pour être honnête, je pense souvent au passé, bien plus souvent qu’à l’avenir. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être ai-je peur de l’avenir. Et je ne veux sûrement pas oublier quelque chose d’important. Il n’y aura pas de répétition exacte dans le présent ou le futur d’un moment du passé. Les rêves sont tout à fait égaux. Je n’ai pas de rêve récurrent. Il y a certains motifs qui apparaissent de temps en temps mais je n’ai jamais rêvé le même rêve deux fois. C’est différent avec les souvenirs. Je peux me souvenir d’eux aussi souvent que je le veux et aussi longtemps que j’en serai capable. La musique est un bon moyen de le faire. Elle ouvre des portes sur le passé. D’ailleurs, je suppose que tout découle de notre réalité, tout comme les rêves et les souvenirs. Bien sûr, on quitte le moment présent et on se tourne vers son esprit car c’est le seul endroit où cela peut se produire. On peut toucher des photos ou d’autres choses, porter de vieux sweat-shirts que son père portait. Mais c’est seulement l’esprit qui peut vous emporter et vous conduire vers ces souvenirs. Cependant, cela reste réel. J’aime aussi penser que ces moments peuvent être encore plus réels et plus présents que notre réalité palpable.
Je n’ai pas été surpris de voir Memory Sketches édité par l’excellent label japonais Schole Records tant on retrouve dans votre musique ce rapport à la contemplation si singulière, ce rapport aux ancêtres et à la famille qui je crois sont également des valeurs essentielles au Japon. Qu’en pensez-vous ?
Tim Linghaus : C’est absolument vrai même si je n’avais jamais vu les choses sous cet angle. Je n’ai jamais échangé avec Akira Kosemura, le patron de Schole Records sur la culture japonaise. Peut-être qu’inconsciemment, Akira s’est reconnu dans ma musique par ce filtre-là. La connexion avec Schole s’est faite très naturellement, je leur ai envoyé le disque, Akira qui est lui-même un grand pianiste avec de très beaux disques avait déjà entendu parler de ma musique, il connaissait Vhoir. De mon côté, je ne connaissais pas vraiment les productions du label avant d’être signé par eux (Sourire). Ce que j’apprécie particulièrement avec Schole Records c’est qu’ils donnent une grande importance à l’objet vinyle et cd, à son esthétique. Ils font quelque chose de vraiment fantastique, en particulier dans le travail de restitution de la pochette.
Dans une interview, vous expliquiez que Memory Sketches évoquait votre père et votre grand-mère et qu’About B se concentrait plus sur votre mère. Pourriez-vous nous parler de Before Berlin (About B End Title) qui, je crois, résume bien la volonté de ce disque ?
Tim Linghaus : C’est d’abord l’histoire de ma mère, elle est arrivée à Berlin où elle a rencontré mon père, cela raconte son enfance, tout ce qui s’est déroulé avant que je ne vienne au monde. Sur ce disque, il y a beaucoup d’éléments qui évoquent l’Allemagne de l’Est. Par exemple, elle voulait étudier la médecine à cette période-là mais le système politique de l’époque ne lui a pas autorisé à suivre cette formation, son père n’était pas membre du Parti communiste et ne souhaitait pas l’intégrer, elle non-plus d’ailleurs. Ils ne l’ont donc pas autorisé à suivre ces études de médecine. Elle a connu une vie assez mouvementée avant de déménager à Berlin, beaucoup de hauts et bas et de pouvoir vraiment commencer à vivre plus librement.
On sent chez vous une volonté à ne pas vous cloisonner dans un genre musical. Vhoir et Memory Sketches avaient des sonorités néo-classiques et Ambient. Avec We Were Young When You Left Home (2019), vous amenez votre musique vers des sonorités beaucoup plus proches de celles de James Blake et par conséquent de la Pop. Cela relève-t-il d’une décision mûrement réfléchie ou de quelque chose qui relève plus de l’acte inconscient ?
Tim Linghaus : Mûrement réfléchie, assurément pas ! J’avais ces idées musicales que je suivais comme par exemple l’émergence de la Pop sur ces deux disques, je ne sais pas si je ré emprunterai ce même chemin à l’avenir parce que c’est vraiment très différent de Memory Sketches et je crois que je peux perdre facilement l’auditeur avec ces différentes manières d’appréhender ma musique. Et puis je me sens plus connecté à cette scène piano bien plus qu’à la Pop, j’ai peur que cela provoque des malentendus. Ces deux disques contiennent des paroles, du chant.
Mes albums au piano abordent de vrais souvenirs, je crois que je ne partage pas les mêmes concepts que ce soient sur Memory Sketches et ces deux albums. Je trouve ces deux albums trop référencés alors que je crois que mes albums au piano solo s’appuyant sur mes propres souvenirs sont par la force des choses beaucoup plus personnels. J’ai l’impression de mieux poursuivre mes obsessions sur Memory Sketches, il y en a une qui me taraude tout le temps, c’est ce rapport à la disparition, je ne supporte pas l’idée qu’après la mort, c’est le vide et qu’il n’y a rien. La religion ne m’ait d’aucune aide puisque je ne crois pas en Dieu. Peut-être que je cherche à me rassurer avec ma musique, j’imagine que les morts m’entourent comme des cercles concentriques qui me protègent à leur manière. Je crois bien qu’il y a deux expériences dans l’existence humaine qui nous permettent de connecter aux souvenirs, c’est tout d’abord la musique et les paysages qui sont hantés par les souvenirs. Créer de la musique, c’est recréer un lieu pour la mémoire et les souvenirs.
Sur We Were Young When You Left Home, votre voix fait son apparition mais comme cachée sous un vocoder. Ressentiez-vous une forme de frustration dans votre musique pour exprimer des émotions plus complexes ou pour nous faire saisir tel ou tel évènement dans votre histoire ?
Tim Linghaus : Non je ne ressentais pas de frustration car j’insiste, j’emploie les titres pour poser la narration. C’est souvent plus ardu pour moi de trouver le titre le plus pertinent que de le composer. Avec Memory Sketches, c’est un peu plus simple car je dois trouver un titre pour nommer un souvenir déjà existant mais quand je pars de morceaux qui n’ont pas pour base des souvenirs plus précis, c’est autrement plus compliqué, je me tire pas mal les cheveux rien qu’avec cela. C’est vous dire l’importance que j’octroie aux titres. Cela m’est arrivé encore récemment de mettre à la poubelle des pièces musicales car je n’aimais pas le titre et que je trouvais qu’il n’illustrait pas comme il le fallait la chanson. Ne pas trouver le bon titre pour une chanson peut aller jusqu’à me dégoûter du morceau en question. Les titres ont énormément d’importance pour moi, en gros me donner une direction dans la structure du disque mais aussi à l’auditeur.
Venus Years sorti en 2020 continue d’évoquer le divorce et sa perception par un enfant. Comme We Were Young When You Left Home, Venus Years est un album difficile à définir, allant aussi bien du côté de l’Electro-Pop que de l’Ambient. Aborder ainsi différents genres au sein d’un même disque vous permet-il de mettre en scène différents personnages ?
Tim Linghaus : Oui, en quelque sorte, je ne le pense pas dans ces termes, cela vient de manière inconsciente. Il m’arrive parfois de m’autocensurer, de me refuser à m’essayer à un genre ou un autre pour explorer une facette ou un trait de caractère de mes personnages. Je me souviens d’un titre en particulier que j’ai laissé de côté parce qu’il avait un son trop Pop, presque Rap. Je ne pouvais pas aller dans cette voie parce que cela ne me ressemble pas. Je ne suis pas toujours à l’aise avec ces deux albums, je suis content qu’ils explorent d’autres genres mais je crois qu’ils auraient pu être plus réussis, plus consistants si j’avais su me limiter à un ou deux genres. Cela fait un moment que je ne les ai pas écoutés.
J’ai l’impression en vous écoutant que vous n’assumez plus totalement We Were Young When You Left Home et Venus Years.
Tim Linghaus : C’est vrai, je trouve que ces deux disques brisent un peu la cohérence de la collection Memory Sketches, je trouve qu’ils s’éparpillent un peu trop du strict point de vue stylistique. C’est vrai je n’en suis pas pleinement satisfait mais je me rappelle d’avoir écouté il y a quelques mois We Were Young When You Left Home et de m’être dit que c’était quand même plutôt un album réussi, peut-être juste que j’aurai dû le sortir sous un autre nom mais pas comme une suite de Memory Sketches. Mais peut-être que mon jugement évoluera avec les années. Après je trouve que l’humeur de ces deux disques reflète bien le chaos d’un divorce comme je l’évoque dans We Were Young When You Left Home et Venus Years. Je suis à la fois ravi de les avoir fait que conscient de leurs défauts. Je les assume, je les aime mais je ne sais pas si je reviendrai vers ce type de son à l’avenir.
Avec Memory Sketches II, vous revenez à des sonorités plus néo-classiques, moins sombres également. Que vouliez-vous nous raconter à travers ce disque ?
Tim Linghaus : Je voulais absolument poursuivre dans cette voie que j’avais entamé avec le premier volet de Memory Sketches surtout après l’année 2020 que nous avons traversée. J’ai tout d’abord pensé à faire un troisième album « pop » pour continuer la trilogie mais j’ai vite abandonné cette idée pour me reconcentrer sur une musique qui me permettait d’illustrer mes souvenirs. En plus, la réussite commerciale du disque pour Schole Records m’a aussi motivé pour continuer dans cette voie pour être tout à fait honnête. Je crois que ce trop grand mélange des genres sur We Were Young When You Left Home et Venus Years n’a pas permis à ces disques de rencontrer le même succès que Memory Sketches, je crois bien que leurs intentions étaient trop floues et que cela rendait les disques difficiles à identifier. J’étais tellement attaché aux personnages qui font le premier Memory Sketches que j’ai voulu continuer leur histoire. Je me rappelle avoir un message d’une personne que je ne connais pas, ce qui m’arrive de temps en temps. Dans ce message, il me disait que dès la première écoute de ce disque, ma musique lui avait fait remonter à la mémoire des souvenirs anciens et jusqu’ici oubliés liés à son enfance. Je me disais à la même période que ce doit être difficile de transposer ses propres souvenirs dans la musique d’un artiste qui met tellement de détails à travers ces titres et la manière dont il arrange ses pièces musicales.
J’ai toujours cette crainte que je juge légitime de ne pas laisser de voie d’entrée à mon auditeur potentiel en inscrivant ma musique dans un registre très personnel, je suis très vigilant à laisser de la liberté à mon public. Je me suis rendu compte grâce au message de cet inconnu que cela pouvait fonctionner et que d’ailleurs cela fonctionnait. Ce genre de message est très rassurant, cela me fait me dire que j’explore la bonne voie et que je peux persévérer sur ce chemin-là. C’est très stimulant de constater que cette musique que vous composez dans votre salle à manger et que vous enregistrez dans votre chambre parle autant à d’autres individus. J’espère que Memory Sketches II parviendra à toucher encore d’autres personnes. Chacun des titres de mes disques en lien avec Memory Sketches qui commence l’album ne porte jamais de titre, je l’appelle Track One. Il faut comprendre ce choix comme une porte d’entrée pour l’imaginaire de l’auditeur, comme une envie de ma part de lâcher-prise, en gros de permettre à l’autre d’inscrire sa propre perception dans la mienne, d’à la fois se laisser porter par mon concept mais aussi par celui qu’il choisit de suivre par lui-même. Mais je crois aussi qu’en mettant des titres très détaillés qui imposent un décor, cela peut quand même fonctionner et laisser le champ libre pour les images mentales de l’auditeur.
Dans le communiqué de presse qui accompagne le disque, vous dites : Parfois, on peut le ressentir. Ce constat qu’un certain moment est crucial dans nos vies. Mais la plupart du temps, nous respirons, nous marchons, nous parlons et nous agissons sans nous rendre compte de l’importance de ce moment, ni de l’importance qu’aura pour nous le souvenir de ce moment.
Créer de la musique pour vous c’est savoir saisir cet instant crucial, le figer dans l’espace d’une pièce musicale ?
Tim Linghaus : Oui bien sûr et encore plus pour Memory Sketches. Cela peut parfois se révéler délicat car il est parfois très difficile de trouver un son pour illustrer le souvenir. Tant que je n’ai pas trouvé l’équilibre dans l’illustration de chaque souvenir, je ne suis pas satisfait et je continue de chercher. Il m’arrive d’inverser des titres, de les changer car je me rends compte après une réécoute que tel ou tel titre correspond mieux à tel ou tel son. Ce titre capture mieux l’essence, le cœur ou le sentiment d’un souvenir que tel autre titre par exemple. C’est un processus très vivant et très mouvant, c’est aussi parfois très frustrant car vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas le son pour illustrer cette mémoire d’un instant. Et puis quand vous travaillez avec la mémoire et le souvenir, le souvenir change et évolue. Quand vous regardez une photographie, vous passez devant tous les jours sans plus vraiment la voir, soudain après des années à vivre avec à ses côtés, vous découvrez un détail que vous n’aviez jamais repéré. Ce détail était là depuis toujours mais vous ne l’aviez jamais vu et maintenant que vous l’avez repéré, il occupe tout l’espace. Il en va de même pour les souvenirs et cela peut modifier totalement l’interprétation que je peux faire d’un souvenir et donc la transposition musicale que j’en fais. C’est un processus passionnant que celui de figer dans l’espace d’une pièce musicale un instant crucial d’une existence.
Ce disque est découpé en quatre parties, Regret, Icarius, Before et Disappear. Quels sens donnez-vous à ces parties ?
Tim Linghaus : On retrouve cette même notion de chapitres sur Memory Sketches I avec les mêmes noms pour les quatre parties sauf qu’on a inversé le sens de ces parties pour Memory Sketches II. Memory Sketches commence par Disappear alors que Memory Sketches II se termine par Disappear. Chaque chapitre principal donne du sens aux parties qui suivent. Vous pouvez attendre un instant, je vais vous montrer quelque chose. (Il s’absente un instant et vient tendre vers l’écran une figurine toujours dans son emballage comme neuf). C’était une des figurines parmi les plus précieuses dans ma collection quand j’étais gamin. C’est un de mes souvenirs d’enfance, il est resté sur une commode dans la cuisine de mes parents pendant des années. C’est pour cela que j’ai donné ce nom à ce chapitre. Je ne sais pas pourquoi j’aime cette idée de chapitrage, cela m’est venu comme ça.
Ce disque revient à une formule en piano solo. Parmi les auteurs classiques et néo-classiques, desquels vous sentez-vous le plus proche ?
Tim Linghaus : Je crois bien que Nils Frahm est devenu une référence commune à tout un tas de musiciens, j’ai envie de citer Olafur Arnalds. Depuis quelques mois, j’ai découvert la musique de Dustin O’Halloran, j’apprécie particulièrement ses premières compositions sur Piano Solos (2004) et Piano Solos (2006). Ces deux albums ont un son très classique, presqu’académique et il tend plus vers l’école minimale sur les autres albums. Son disque, Vorleben, enregistré en live en 2012 est une pure merveille.
Pouvez-vous nous parler des musiciens qui vous ont accompagné sur ce disque ?
Tim Linghaus : Sur ce disque, j’ai collaboré avec Tobias Haecker qui est un excellent saxophoniste. On a enregistré ensemble des tas de sections de saxophone que je compte bien utiliser à l’avenir sur d’autres disques un peu comme des samples. Sur ce disque, il n’est présent que sur une petite ligne très belle de saxophone qui apporte beaucoup au titre, Vergissmeinnicht. Il me faut aussi évoquer mon ami Alex Hanke de Zum Heimathafen et de tout ce qu’il a apporté à Memory Sketches I & II. C’est lui qui a confectionné les deux pochettes des deux disques et ce ne sont pas que des pochettes de disque mais bien plus des œuvres d’art. Je suis émerveillé par le résultat final que je ne sais pas comment le remercier. J’ai pour l’objet disque ou vinyle un attachement et une vénération sans pareil. La pochette du second disque va au-delà de mes exigences. Par un savant travail de découpage, on peut changer de pochette comme on le souhaite à Memory Sketches II. Alex Hanke parvient si bien à capter mes idées et les propositions que je lui fais, j’en suis à chaque fois stupéfait.
Malheureusement, le monde du streaming ne fournit pas aux auditeurs plus que les couvertures des albums. J’apprécierais pourtant tellement l’ajout de versions numériques des pochettes d’albums sous forme de PDF ou autre sur Apple Music, Spotify, etc. Dans le passé, en tant qu’amateur de musique, lorsque j’achetais des CD pour écouter de la musique, j’avais l’habitude d’étudier les pochettes, les notes de pochette et tout le reste pendant des heures. C’était étroitement lié au plaisir et à la sensation d’écoute et il manquait quelque chose lorsque je n’avais pas de livret à feuilleter tout en écoutant.
La pandémie liée au COVID-19 a t-elle eu un impact sur votre manière d’appréhender la composition de ce Memory Sketches II ?
Tim Linghaus : Oui, surement. Je pense que le tout a pris des ambiances bien plus mélancoliques. Tellement de gens me disent que ma musique est tellement triste et qu’elle donne envie de se jeter par la fenêtre. Cela a eu un impact certain sur ma musique mais je ne me place comme ces musiciens dont c’est la seule source de revenu. En parallèle de la musique, j’ai un autre travail qui me permet de vivre et d’être indépendant d’un point de vue financier. Je suis professeur et mon boulot est assuré de perdurer même face à une crise sanitaire mondiale, je n’avais pas à m’inquiéter pour mon travail ou pour mes sources de revenu. Comme tout le monde ,j’avais peur et me sentais impuissant face à la situation. J’avais peur pour mes proches, mon grand-père et ma mère bien sûr. Et puis avec ces confinements, je me suis retrouvé avec du temps disponible à foison, j’ai beaucoup joué et travaillé sur de nouveaux morceaux.
Quel souvenir conserverez-vous de cette pandémie, là, si je vous pose la question, quelle est la première image que vous retiendrez de cette période ?
Tim Linghaus : Forcément le vide des rues. J’habite dans une ville au bord de la mer, je me souviens de ces longues plages désertes, j’avais l’impression d’être le personnage d’un film post-apocalyptique, le dernier survivant sur Terre. Je crois que ce sentiment d’effroi et de solitude c’est ce que je conserverai de cette période. Les masques qui cachent les visages et nous rendent tous identiques, des images de ces corps que l’on enferme dans des sacs. Je crois que le Covid 19 est une nouvelle contribution à ce sentiment de chaos qui s’est infiltré depuis quelques années dans la société allemande comme ailleurs en Europe. Ce sentiment très répandu dans les populations d’être lâchés par leurs gouvernements, je pense à ces groupes qui manifestaient à l’époque contre les restrictions qu’imposait ce virus, c’étaient des groupes très radicaux et très agressifs qui me rappellent des périodes terribles de l’histoire de mon pays. Ces mouvements d’extrême-droite qui se répandent un peu partout me terrifient, je suis inquiet pour l’avenir de l’Allemagne car je vois ces partis grimper dans les sondages. Je crois qu’il y a un grand changement en cours dans notre société, c’est un problème mondial aux déclinaisons multiples, c’est l’America First de Donald Trump, c’est la Hongrie d’Orban ou la France de Zemmour. Je crois que ces gens font écho à l’angoisse pour l’avenir des populations. J’ai eu honte pour la démocratie, pour ce concept quand j’ai vu les images du Capitole occupé par ces fous furieux. Quand je pense au Covid 19 mais aussi au futur, les termes qui me viennent tout de suite à l’esprit, c’est le chaos et la confusion.
Vers quoi souhaitez-vous faire évoluer votre musique à l’avenir ?
Tim Linghaus : Dans ce contexte, il m’est difficile de projeter ma musique dans le futur mais je crois bien que je souhaite poursuivre dans cette voie du piano, peut-être de véritables chansons portées par un piano et sans doute un jour, le terme de cette trilogie pour aller vers un format plus conventionnel, celui de la chanson avec des paroles à défendre et incarner.
Propos recueillis par Greg Bod