Groupe aimé en France et ignoré dans son pays, And Also The Trees a fêté hier soir à la Maroquinerie quatre décennies d’existence inspirée : une soirée dédiée à la Beauté et à l’Emotion.
Voilà 40 ans – 41 même, comme le rappellera Simon Jones à un spectateur qui hurlait « Happy 40 ! » au milieu du set – que And Also The Trees existe, cantonné dans les limbes de cette fameuse cold wave rebaptisée depuis post punk. Un groupe qui a rencontré un beau succès d’estime (mais pas que…) sur le continent et a été largement ignoré en Grande-Bretagne (confirmant le vieil adage que nul n’est prophète en son pays !). Cette tournée est donc celle de la célébration, même si ce qu’on fête c’est, comme le dit Simon avec de la surprise dans la voix, peut-être surtout le fait de toujours être là. Eux sur scène et nous dans la salle.
Et on fête aussi nos vraies retrouvailles avec notre chère Maro, réouverte depuis quelques jours seulement, et toute pimpante après des travaux de ravalement. Et comme il n’y a pas ce soir de première partie, on a tout le temps de boire un verre entre amis. La bonne vie quoi !
21h : Justin Jones est seul sur scène avec sa guitare et ses pédales, et il construit patiemment l’entrée en matière de la soirée. Jusqu’à ce que le frangin Simon rentre sur scène comme un spectre lugubre et se mette à psalmodier, bientôt rejoint par la clarinette de Colin Ozanne. En 15 minutes qui requièrent toute notre attention, l’ambiance est posée : calme, beauté, introspection presque. Le concert peut vraiment commencer, et Vincent Crane, extrait de l’album sans doute le plus populaire – au moins en France – du groupe, Virus Meadow, permet à tout le monde de trouver ses marques…
Le concert durera près d’une heure quarante, avec une setlist visitant la quasi-totalité des albums studio du groupe, ce qui nous permettra de revenir en arrière revisiter les années « post », quand – mais c’est finalement peu fréquent, le groupe se met à jouer plus dur, plus tendu : Maps in Her Wrists and Arms, terrible récit de perdition, voit Simon se lâcher un peu (« Sometimes when she lifts her eyes / The room has filled with flowing sheets of silk / There’s maps in her wrists and arms / And the morphine surges terror bread and bliss… »). Le public de la Maro, en majorité pas très jeune et sans doute un peu nostalgique, fait évidemment particulièrement honneur à ces morceaux d’autrefois… Une chanson aussi solennelle que The Suffering of the Stream, avec son lyrisme sombre et son amplitude, est un parfait rappel de la splendeur passée de la cold wave, et peut même occasionnellement serrer le cœur.
Une partie des morceaux de cette rétrospective en forme de best-of se tient sur le versant plus contemporain de And Also The Trees, avec des envolées poétiques parfois hispanisantes comme sur le magnifique Your Guess (« I can’t know you / Guess my face my eyes / Your Guess is as good as mine / The weight of your head in my arms »), et avec d’autres fois ce retour à un repli sur des émotions intimes, appuyé sur une très belle clarinette (Boden).
Le public, qui chérit clairement le groupe, est émotionnellement engagé dans chacun des morceaux, tremble, vibre, danse, oscille, encourage Simon dans sa recherche de la beauté. Les succès – quand la musique devient grande – sont accompagnés de cris de joie. Les errements occasionnels par des encouragements chaleureux…
Ce ne sont pas toujours les morceaux les plus connus qui fonctionnent le mieux, et on peut même trouver que le groupe manque parfois d’intensité par rapport aux versions des albums. Simon lui-même, régulièrement assis, accroupi, en retrait, ne livre pas la performance physique qui pourrait porter la musique vers une réelle incandescence, et ce sera peut-être un petit regret qui nous restera à la fin : disons qu’aujourd’hui le groupe privilégie la Beauté par rapport à la Tension. Mais, à la fin, nous aurons droit à notre récompense, avec l’enchainement de trois chansons parfaites, le majestueux Dialogue, l’impérieux So This Is The Silence (assez gothique et pas si loin de Bauhaus, en fait !), et Virus Meadow…
Le rappel sera étendu à trois morceaux en dépit du dépassement de l’horaire prévu – Simon vient demander l’heure à un ami du premier rang ! Avec son intro remarquable à la basse (mais que Grant Gordon a un air à la Peter Hook, quand même !), Prince Rupert met le feu à la Maro : « « Rupert lies on a bed / Where the night bows her head / Stars weave their dreams around him / ‘Give me this day’ / Prince Rupert calls. » Même si les paroles de And Also The Trees sont complexes, on voit pas mal de gens les chanter, ce qui est toujours la plus grande preuve d’amour… Mais ce sera Slow Pulse Boy qui conclura donc la soirée : avec son alternance d’explosions (« So we chase the explosions / From horizon to horizon… ») et de retours au calme (« Somewhere a girl is singing / There is calm in the air / But there is greater calm than I can bear / Tomorrow the sun shines »), c’est une conclusion parfaite à cette soirée toute en sombre splendeur.
Gageons que pour les cinquante ans de And Also The Trees, nous serons à nouveau là, présents pour célébrer ce groupe singulier, qui a toujours su progresser en dehors des sentiers battus.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot