Le concert rituel d’anniversaire d’Elliott Murphy au New Morning, prévu le 13 mars 2020, avait été l’un des premiers annulés… Cela fait donc 14 mois de report pour cette rencontre que nombre de fans attendent comme une fête toute particulière, célébrant leur fidélité à un artiste qui leur est cher.
« Perdant magnifique », Elliott Murphy, l’ex-star en devenir, l’ami du Boss et le protégé (si l’on peut utiliser le terme avec Lou) de Lou Reed, exilé à Paris, a réussi à prouver que son idole, F. Scott Fitzgerald avait tort quand il a affirmé : « Il n’y a pas de seconde chance dans la vie des Américains ». Elliott n’a pas un public de millions de personnes, juste quelques milliers, mais leur amour est immense, et ces concerts au New Morning sont aussi l’occasion pour lui de vérifier que nous sommes toujours là. Un peu plus vieux, comme lui, à chaque fois, mais toujours là.
Alors, à 21h, quand Elliott monte seul sur scène, il ne commence pas à jouer, mais il nous explique – avec son humour habituel – qu’il a oublié pas mal de choses pendant cette interruption après 50 ans de tournées, comme le fait qu’il faut brancher sa guitare avant de jouer, que devant lui c’est un microphone et pas un micro-ondes… mais ce qu’il n’a pas oublié en 14 mois c’est… Nous (Elliott parle de 14 mois d’interruption seulement parce qu’il avait pu faire quelques dates en septembre 2020) ! Émotion perceptible dans la salle et sur scène. Et on attaque avec Change will Come, en solo, et la vieille magie est là, intacte.
On est partis pour deux heures quarante de concert, avec quand même une pause de 15 minutes entre l’intro en format solo, puis duo (avec Olivier), puis trio (avec Melissa), et le set principal en formation groupe complet, soit 7 voire 8 personnes sur scène (et même 11 quand, sur Come On Louann, Elliott fait monter sur scène trois fans qu’il connaît personnellement) ! A l’équipe habituelle des fidèles constitués par Alan Fatras à la batterie, Olivier Durand à la guitare et Melissa Cox au violon, viennent s’ajouter un claviériste et un bassiste, mais aussi le fiston Gaspard – qui ressemble d’ailleurs de plus en plus à son père – devenu guitar hero émérite et qui nous régalera d’une paire de soli flamboyants qui lui vaudront des applaudissements mérités. Cerise sur le gâteau, la brillante Natalia M. King, autre exilée américaine installée en France, vient chanter sur plusieurs titres, et en premier lieu sur une brillante reprise en duo avec Elliott du Pink Houses de John Mellencamp !
Comme toujours, la setlist traverse toute la longue discographie d’Elliott, avec à peine un peu plus d’insistance sur les albums fondateurs du début des 70’s : fondamentalement, même s’il y a toujours un léger soupçon de nostalgie quand on entend à nouveau sur scène une pépite comme You Never Know What You’re In For, Elliott Murphy continue à regarder droit devant, et à nous parler, au moins en musique, de notre vie actuelle : son virulent – et jouissif – What the Fuck Is Going On brocarde les banquiers qui mène le monde au chaos d’une manière incompréhensible ; son tout dernier titre, Hope, qui sera l’un des sommets de la soirée d’ailleurs, parle de l’angoisse qui nous a tous saisis lors du premier confinement, et de la nécessité de garder l’espoir – comme sa femme Françoise l’y encourageait – à travers les heures sombres que nous vivons. Ce qui ne veut pas dire, on le sait tous, qu’Elliott n’aime pas raconter des histoires de son passé, comme lorsque ce soir il évoque Lou Reed (auquel il dédie Deco Dance) et son fameux (et tellement arrogant…) : « My Week Beats Your Year ! ».
S’il y a une chose qui n’a pas changé depuis 14 mois, c’est bien la fulgurance de la guitare d’Olivier, qui nous gratifie très tôt d’un premier beau solo sur Drive All Night, cassera une corde plus tard et la remplacera en plein milieu d’un morceau, et illuminera finalement – sans surprise, mais qui a besoin de surprise quand c’est si beau ? – A Touch of Kindness.
Ce set généreux se terminera sur un rappel additionnel non prévu (Euro-Tour, énergique !), mais surtout sur une vraie déclaration d’Elliott à son public : avec un peu moins de plaisanteries que d’habitude, donc un peu moins de volonté de masquer ses sentiments, Elliott nous a rappelé qu’il nous regardait, aussi, nous. Avec les lumières allumées dans la salle. Et qu’il nous connaissait. Et peut-être qu’il nous aimait autant que nous l’aimons.
Texte et photos : Eric Debarnot