L’histoire de Pierre Hubermont, écrivain prolétarien belge, exact contemporain de Georges Simenon, tombé dans les catacombes de l’histoire après avoir été jugé et condamné pour collaboration intellectuelle avec les nazis.
Avant d’ouvrir ce livre, je ne connaissais même pas le nom de cet auteur et je pense, d’après ce que disent les auteurs, que de nombreux lecteurs, même parmi les plus assidus, étaient dans la même ignorance que moi. Ces trois auteurs ont rassemblé leurs connaissances, leurs compétence et leur talent pour produire une biographie de cet écrivain fortement engagé dans les enjeux socio-politiques de son époque. Léon Fourmanoit, auteur de plusieurs ouvrages concernant le Borinage, a eu le privilège de rencontrer Hubermont et de recueillir quelques textes restés inédits, Claude Duray spécialiste de l’histoire sociale du Borinage et Daniel Charneux qui, après avoir découvert cet écrivain disparu dans les catacombes de l’histoire, a lu toute son œuvre disponible. A eux trois, ils ont dressé une biographie et une bibliographie complètes de cet écrivain tellement controversé en situant son histoire personnelle et son œuvre littéraire, syndicale et politique dans l’histoire boraine, belge et même européenne. A cette époque le monde ne connaissait plus les frontières, la violence des tensions socio-politiques et les conflits sanglants passaient aisément par-dessus toutes les limites et frontières qu’elles soient physiques, morales ou humaines.
Pierre Hubermont n’est qu’un pseudonyme qui masque en réalité Joseph Jumeau né en 1903 (il est l’exact contemporain de Georges Simenon) dans un petit village à la limite entre le Borinage et Le Haut-Pays, c’est un enfant fragile qui connait une enfance difficile l’incitant même à faire une tentative de suicide à l’âge de dix ans. Son père est un mineur fortement engagé dans l’action syndicale et la vie politique locale, son frère s’est lui aussi engagé dans l’action syndicale et dans l’écriture mais il connut moins de succès. Sa faible constitution l’oriente vers les métiers de bureau, notamment le journalisme où il exerce pendant de longues années, mais aussi la vie politique, il sera pendant un longue période membre du Parti ouvrier belge. Les auteurs suivent son action au travers de tous les conflits qui ont marqués la vie du bassin minier borain au cours de la première moitié du XX° siècle et encore après le grand conflit mondial. Son influence dans les milieux politiques n’étaient pas négligeable, il avait l’oreille de nombreux dirigeants syndicaux et politiques.
Les auteurs égrènent aussi ses écrits littéraires au fil de sa carrière professionnelle, syndicale et politique. Ils citent de très larges extraits des principaux romans qu’il a écrits dès son plus jeune âge dont pour n’en citer que quelques-uns : « Treize hommes dans la mine », « Hardi ! Montarchain », « Germain Péron, chômeur » et plusieurs autres ensuite. Ces premiers romans se situent dans la lignée des œuvres de Zola, ils évoquent la rude vie des mineurs et les catastrophes qui souvent ont marqué l’histoire du pays minier.
Fidèle membre du parti ouvrier, socialiste convaincu, Pierre Hubermont a changé de trajectoire pendant le conflit, bien qu’il n’ait jamais adhéré aux partis extrémistes, il est progressivement devenu un fidèle héraut de la doctrine nazie et tout aussi fidèle soutien de leur combat pour une Europe nouvelle. A la fin de la guerre, il sera traduit devant la justice condamné à mort mais sa peine sera commuée en détention à vie, les experts estimant qu’il n’était pas en possession de toutes ses facultés quand il a écrit les textes qu’i lui ont valu ce jugement. Il sera libéré bien avant sa mort.
Ce livre est un texte essentiel pour plusieurs raison s : c’est un document qui pourra orienter les recherches sur l’histoire belge de cette époque, c’est une redécouverte littéraire qui provoquera peut-être des rééditions, et c’est surtout l’occasion de reposer des questions fondamentales sur la responsabilité, sur l’engagement politique, sur la justice (Brasillach a eu moins de chance qu’Hubermont, son procès ne s’est pas déroulé dans le même contexte). Et surtout sur la fameuse question soulevée chaque fois qu’on écrit sur Louis-Ferdinand Céline, faut-il séparer l’œuvre de l’auteur ? Le débat reste de plus en plus d’actualité et le restera encore longtemps.
Denis Billamboz