Si l’histoire de Thierry Martin est simple, une vengeance dans le Grand Nord américain, le traitement graphique est original et magnifique. Dès les premières pages, j’ai le souffle coupé, je suis transi de froid. Seul dans la forêt enneigée, un homme armé marche, déterminé et effrayant.
Professionnel du story-board, Thierry Martin s’est lancé un défi. Du 4 août 2018 au 15 mars 2019, il a publié chaque jour une planche sur Instagram. Soleil édite le résultat, une planche par page. Une fois n’est pas coutume, l’exercice de style a accouché d’une grande œuvre. Un homme seul marche … Pourquoi ? Martin l’ignore encore. Il marche sous d’immenses arbres… Le regard enflammé, il répond à l’appel de la vengeance. Il poursuit… un assassin. Piégé par le tueur, il est laissé pour mort. L’homme se relève et, après une nuit de repos, reprend la chasse à l’homme, puis à une meute d’hommes. Si le scénario débute comme celui du Revenant, l’histoire diffère. Elle ne se perd pas, comme celle d’Alejandro González Iñárritu, dans d’improbables extravagances. Respectant les trois unités du théâtre classique, unité de temps, de lieu – élargie à une forêt – et d’action, Martin va au plus simple, peut-être trop simple, mais, au final, au plus brutal.
Un court flash-back nous plonge dans les guerres indiennes, nous lâchant des bribes de souvenirs traumatisants. Déjà, l’homme approche d’un hameau. Le rythme s’accélère. Il court. Je prends soudain conscience que Martin développe une histoire muette, absolument silencieuse. J’avais pourtant cru entendre les pas dans la neige, les détonations lointaines, comme assourdies par la neige et le froid. L’histoire, les faits, les cris sont passés par les seuls regards. Le regard halluciné et inoubliable du tueur, les yeux froids des gangsters, la méchanceté sournoise et implacable du caïd et l’indomptable soif de vengeance de l’homme sans nom.
La belle édition à italienne sublime les planches. La « caméra » ne quitte pas l’homme, alternant gros plans et plans larges, variant ses angles à l’infini. Elle ne l’abandonne que pour de très rares close-up sur ses adversaires. Par sa redoutable simplicité, le dessin est somptueux. Un encrage noir, quelques taches blanches et un fond uniformément bleu gris. Thierry Martin jour avec les ombres, dans les cabanes ou les sous-bois. La nature reste belle. Des chevaux galopent avec vivacité. Une meute silencieuse de loups attend l’hallali.
Stéphane de Boysson