Dans Giscard, mon père et moi, François Bugel et Ferenc mêlent fort habilement un récit d’autofiction, avec un essai historique et une grinçante comédie politique.
Giscard, mon père et moi mêle deux histoires : le fabuleux destin de Valéry Giscard d’Estaing – l’enfant chéri de parents fou d’ambition – et celui de Serge, le père de Bugel, né vingt ans après Giscard dans une famille éprouvée par la guerre. Tout semble opposer les deux personnages qui jamais ne se rencontreront ; tout au plus le premier apercevra le second sur un écran de contrôle. Giscard échouera dans sa folle quête de popularité, sera trahi par Chirac et perdra les élections face à Mitterrand ; humilié, il saura revenir au premier plan. Serge refusera son destin de petit patron, pour basculer dans l’ésotérisme, puis la folie. Quoi de commun entre l’orgueilleux politique et l’adepte abusé ? La blessure affective.
François Bugel est probablement le seul psychothérapeute à dessiner de la BD. Cette double passion trouve tout son sens dans la description clinique de la perte progressive de la réalité de ses héros. Giscard veut être aimé des Français, de tous les Français. En libérant la femme, en cassant le protocole et en s’invitant chez l’habitant, en modernisant l’industrie et en libéralisant la finance, il attend la reconnaissance de tous. Bien qu’aimé par sa femme et ses enfants, Serge ne veut plus vendre de chaussures. Déçu par le monde visible, il en cherche fébrilement un autre, caché, et devient la proie de vendeurs d’illusions. Longtemps imperceptible, leurs fêlures grandissent pour se muer en gouffre.
Le dessin de Bugel associe des décors réalistes et documentés, qui raviront les boomers en les plongeant dans une France oubliée, et des personnages caricaturés. Il rajeunit Pompidou et Chirac, les gloires ternies de la Ve République, puis fait renaître des visages oubliés, tels ceux de Michel Poniatowski ou de Marie-France Garaud. Le trait et les couleurs rappellent, en plus affectueux, ceux de Lauzier. Il parviendrait même à nous rendre sympathique les tristes barons de Giscard et de De Gaulle. Devons-nous en conclure que de grands destins politiques attendent les grands blessés « affectifs » qui échappent à la folie ? Au vu de l’actualité, c’est possible.
Stéphane de Boysson