La mini-série Sermons de minuit constitue un éprouvant nouveau chef-d’oeuvre de Mike Flanagan qui, à la suite des Haunting, propose une réflexion puissante et horrifique de la folie religieuse.
Netflix aurait pu sortir Sermons de Minuit actuellement, en pleine période automnale d’Halloween, mais la plateforme aurait probablement un peu trompé son monde. En effet, si l’horreur est au rendez-vous, elle n’est pas vraiment dans les jets de sang ou les jump scares qui font le jeu des « films-qui-font-peur ». Et le téléspectateur lambda aurait fait la moue. Par contre, si ce dernier veut laisser la peur et la fascination être distillé au gré d’épisodes bavards et hypnotisants, le dernier opus de Mike Flanagan est la parfaite et insidieuse solution.
Habitué et coqueluche de l’angoisse intellectuelle chez Netflix, le réalisateur du méconnu Jessie et des séries géniales The Haunting of Hill House et The Haunting of Bly Manor, propose ici non pas une suite de sa saga autour du thème de la maison hantée et des fantômes, mais plutôt un hommage non feint à l’oeuvre de Stephen King (sans que ce soit d’ailleurs une adaptation !) et une réflexion puissante sur la folie religieuse, et le combat ésotérique entre le Bien et le Mal.
L’action, qui aurait pu être un décor habituel du grand écrivain de l’horreur, se situe dans une île de pêcheurs isolée à la suite d’une marée polluante. Elle reçoit deux nouveaux habitants : un jeune sortant de prison et hanté par le spectre de la jeune fille qu’il a tué dans un accident de voiture, et un pasteur venu remplacer le précédent devenu trop vieux. Leur arrivée va coïncider avec de petits miracles disséminés le long des épisodes, miracles qui vont bouleverser de différentes manières les rares habitants de Crockett Island. Mais aussi d’autres manifestations plus inquiétantes, phénomènes paranormaux ou inexpliqués qui plonge la communauté insulaire dans un long et lent chaos teinté d’obscurantisme religieux.
Difficile d’en dire plus ici, car non seulement le plaisir serait gâché pour le futur téléspectateur – comme chaque spoil de série – mais surtout car le fondement et les ressorts s’appuient sur les rares dénouements ou virages que prend la série quand elle se décide à prendre le monde à rebrousse-poil. Ca arrive rarement, mais c’est diablement efficace à chaque fois. Par contre, ne le cachons pas, Flanagan a choisi cette fois-ci la lenteur et le verbe pour exprimer sa vision d’un monde en proie au doute, à l’horreur de l’homme dans toute sa noirceur ou sa folie. On peut donc être dérouté par les séquences assez bavardes et les temps suspendus, notamment dans sa première moitié, où la réflexion quasi métaphysique des personnages fait monter Sermons de Minuit (Midnight Mass en VO) à des hauteurs vertigineuses. La seconde moitié, climax de fureur et de terreur résultant des méandres psychologiques des héros, repose davantage sur les codes attendus du genre, mais en les triturant, les saisissant au vol pour les broyer dans des épisodes fascinants et dérangeants.
Reste le plus génial et important, même si inquiétant au départ : le thème religieux. Là aussi, on pioche allègrement chez Stephen King pour malmener les êtres dépeints qui baignent entre le malin et le divin. Toute la série gravite autour de la foi, du mystique, du rapport de l’homme à Dieu, à sa compréhension des textes bibliques, et à la détermination des fidèles à honorer des forces supérieures. Jusqu’à la folie et à l'(auto)destruction. Là aussi, c’est du grandiose : car si le réalisateur flirte avec la passion presque gênante de ses villageois pour tout ce qui touche de près ou de loin au religieux, la façon dont il analyse et conduit sa réflexion sur le sectarisme, l’extrémisme religieux en retournant tout argument prosélytique comme un excrément explosé contre un mur, montrant ainsi toute l’horreur (puante) que contient des idéaux nauséeux au nom d’une entité supérieure. Net, sans bavures, à la fois plutôt athée mais complètement objectif aussi.
Vous l’aurez compris : Sermons de Minuit est plutôt réservé à un public averti, amateur de lentes séries réflexives et qui sortent totalement des sentiers battus, amenant avec elles doutes et fascination. Mais, un peu comme le fut The Leftovers pour beaucoup, une fois que l’on s’en est imprégné, difficile de ne pas être fasciné par tant d’ingéniosité exigeante et inoubliable.
Jean-François Lahorgue