Juste quand on était en droit de se dire « Parquet Courts, c’est super, mais c’est toujours un peu pareil », voilà que le groupe fait sa métamorphose, abandonne le cynisme branché et va s’ouvrir aux autres sur le dancefloor, avec un mot d’ordre simple : « profitons de la vie ! ».
Il arrive toujours un moment dans la carrière, ou disons plutôt la trajectoire, ce qui fait moins « business », d’un groupe où se pose la question de l’après ? Où on va, finalement ? Continuer, arrêter, changer, évoluer ? Que l’on ait du succès, beaucoup, un peu ou pas du tout, au-delà de la satisfaction du public, cette question reste essentielle. Pour Parquet Courts, groupe ayant désormais franchi la décennie d’existence, avec une musique qui est restée plus ou moins la même (une sorte de quintessence du punk rock new-yorkais…), et qui bénéficie aujourd’hui de l’estime quasi générale de la critique, sans parler d’un public fidèle à travers le monde, l’heure était sans doute venue de la remise en question… Après sept albums, qu’est-ce que le duo Andrew Savage / Austin Brown nous propose donc avec le bien nommé Sympathy for Life, leur nouvel opus, pour éviter se prendre des commentaires du genre « ah oui, encore un bon album de Parquet Courts… (bâillements)… et après ? » ?
Si l’ouverture progressive de la musique de Parquet Courts à d’autre genres de musique était, objectivement, décelable dans les albums précédents, cette fois c’est complètement clair : le nouveau credo du groupe, c’est : « allons danser ! ». Dès la réjouissante intro de Walking at a Downtown Pace, le groove et le sens de la fête s’imposent, et ces cinq minutes à proprement parler irrésistibles nous font un bien fou. Bien sûr, quand on danse (let’s party !), c’est aussi pour oublier ces fameuses angoisses, qui rôdent toujours dans le fond de notre crâne… et qui reviennent hanter pas mal des textes des chansons : néanmoins comme l’explique parfaitement cette première chanson, c’est un choix positif à faire, oublier de faire la gueule, renoncer à s’isoler, rejoindre la foule, sourire aux autres, accepter qu’on n’est pas exceptionnel (« And treasure the crowds that once made me act so annoyed / Sometimes I wonder, how long ’til I’m a face in one? », soit « Et chérir ces foules qui me faisaient, avant, faire la gueule / Parfois je me demande, combien de temps me faudra-t-il pour devenir un simple visage dans la foule ? »).
L’ouverture d’un groupe punk intello au dance floor, on a déjà connu ça dans les années 80, avec l’explosion de Talking Heads et leur incroyable décollage sur Remain In Light, et l’on peut par moment retrouver ici cette même sensation, comme sur Plant Life, par exemple, avec ses bips électroniques, ses chants psalmodiés et son groove tribal, conjugué à un sentiment de liberté, d’improvisation si l’on veut (et l’on sait qu’une bonne partie de l’album a été construite à partir de sessions improvisées !). Ce qui ne veut pas dire, heureusement, que Savage et Brown ont décidé de pomper sur David Byrne, ni même sur… Primal Scream qui semble (re)devenir en ce moment une référence incontournable pour la nouvelle scène rock : l’intelligence mélodique de Parquet Courts est toujours là, ainsi que les textes complexes et ambitieux, qui proposent toujours une lecture distanciée de l’expérience musicale… (ll y a même pour ne pas effaroucher les vieux fans qui regretteraient trop le groupe « d’avant », une chanson punk, Homo Sapien !)
Ici on ne danse pas sous l’influence de stupéfiants, on danse « intelligent », sans cynisme heureusement mais sans se laisser manipuler pour autant par les beats : comme sur le redoutable Application / Apparatus, où les questions viennent au fur et à mesure qu’on se déchaîne… et à fin, quand la transe s’arrête, au petit matin, il faut bien retourner à la réalité. « Young people enjoying urban habitation / Headlights beaming with western potential / Carried though a noisy, crowded city / Carriage sleeping children into the light of morning / The operating mechanism / Returns to its resting human state » (Jeunes gens profitant de l’habitat urbain / Phares de voiture rayonnants du potentiel occidental / Portés à travers une ville bruyante et surpeuplée / Des enfants endormis dans la lumière du matin / Le mécanisme opératoire / Retourne à son état humain au repos).
Mais ce qu’il y a de plus nouveau peut-être dans ce huitième album de Parquet Courts, ce n’est pas la pulsation du dance floor, c’est que cette nouvelle ouverture à la vie – simple – et à la jouissance – physique – s’accompagne d’une ouverture spatiale de la musique du groupe. Oui, cette nouvelle « sympathie pour la vie » que Brown et Savage se sont découverte, elle se résume avant tout à une nouvelle manière de respirer. Et ça, c’est beau. Et ça fait du bien.
Eric Debarnot