On rit beaucoup en lisant En coulisse, chronique souvent improvisée des coulisses de festivals. On est aussi interloqué de ce qu’on y apprend sur nos idoles, ce qui nous fait rire encore plus. Mais on est aussi souvent séduit par la remarquable intelligence du propos de Wazem…
La majorité d’entre nous n’assistons aux festivals (en tous genre) que du côté du public, et nous avons une tendance naturelle à surestimer ces « demi-dieux » que sont les artistes que nous pouvons admirer, rencontrer, ou même simplement croiser lors de ces évènements. Car nous assimilons facilement l’artiste à son œuvre, et l’amour que nous ressentons pour celle-ci se traduit automatiquement en une forme de respect pour son créateur… Même si nous savons bien qu’ils ne sont guère que des êtres humains comme nous, avec les mêmes défauts, parfois en pire. En coulisse, de l’auteur suisse (on dira auteur, car il peut être aussi bien dessinateur que scénariste de ses BDs, voire les deux…) Pierre Wazem nous propose donc, pour soigner nos tendances à l’idolâtrie indue, un voyage iconoclaste dans les arrière-cuisines de festivals de BDs, de littérature, et même de cinéma, puisqu’on traversera aussi la prestigieuse Mostra de Venise. Et le résultat est très drôle, mais fait aussi un peu mal…
… Si vous voulez donc découvrir quelles sont les addictions de vos auteurs de BDs favoris, entre alcool, fumette ou même crack (si, si…), ou encore connaître les problèmes d’âge de telle vieille star tellement abimée par le temps qu’elle n’arrive plus à crayonner rapidement pour son public, vous allez être servis par En coulisse (bon, pas de révélation à attendre cette fois sur les perversions sexuelles des uns et des autres, mais il faut bien en garder pour En coulisse 2 !) ! En refermant ce petit fascicule d’une cinquantaine de planches au format à l’italienne, on se demande même si Wazem a encore beaucoup d’amis après la publication de ces strips… à moins évidemment que rien de ce qu’il raconte ici ne soit vrai…
Une partie de ces strips – généralement en 3 cases – est un travail de commande, le reste est venu de Wazem lui-même, qui s’est en outre fixé le défi de l’improvisation, tant dans la forme (pas de crayonné avant le dessin final) que dans le fond (l’histoire se compose au fur et à mesure que Wazem dessine). Du coup, certaines pages sont plus belles que d’autres, et certaines plus drôles, sans que ce soit obligatoirement les mêmes. On découvre ici que Wazem a un remarquable sens de l’humour, qui s’apparente parfois à celui de Trondheim, oui, le héros du premier chapitre du livre, mais en moins désespéré et en plus… « méchant », peut-être ?
On notera aussi, et c’est très important, que En coulisse ne se contente pas de jeter un regard acide sur les tares du microcosme de la BD (ou de la littérature, ou du cinéma), mais que Wazem pratique largement l’auto-dérision, ne se donnant jamais le beau rôle dans quelque situation que ce soit… Et qu’il laisse transparaître une belle intelligence dans ses digressions sur la culture et sur l’Art, ce qui l’aide – lui, mais aussi son lecteur – à sortir « par le haut » de ce qui ne pourrait être que de la satire facile. Après tout ce n’est pas tous les jours qu’on peut lire une phrase – mise dans la bouche de Trondheim – du genre : « la nature imite très mal Miyazaki » (en comparant la beauté des nuages dans les dessins du maître japonais à celle des « vrais nuages »). Ce genre de petits plaisirs fins fait vraiment le sel de cet En coulisse qui va finalement bien plus loin que ce qu’on anticipait.
Eric Debarnot