Lors du premier des 3 jours du Festival Arte à la Gaîté Lyrique, on a pu découvrir le grim punk prometteur du duo infernal Nova Twins, et avoir la confirmation, après deux ans d’absence des scènes françaises, du talent de shame, postulant au podium de meilleur groupe post-punk anglais.
Le festival Arte n’est pas un évènement ordinaire, tout au moins en termes de « logistique » pour les spectateurs qui aiment être au premier rang lors des concerts. La prudence nous commande d’éviter la première, première partie (C’est Karma, dont on nous a dit a posteriori beaucoup de bien…) qui a lieu dans une petite salle, pour aller directement s’installer dans la grande salle du deuxième étage de la Gaîté Lyrique pour le set de Nova Twins… Nous découvrons avec surprise une scène carrée installée inhabituellement au centre de la grande salle, qui plus est avec un sol de verre qui permet un éclairage par en dessous. Deux caméras-grues sont placées de part et d’autres (ce qui aurait d’ailleurs dû nous mettre la puce à l’oreille pour la suite)…
21h : Le duo londonien qui monte (en fait un trio sur scène, puisque les filles sont soutenues par un batteur, à la frappe puissante !), Nova Twins, étiqueté grime / punk, déboule dans un déluge de lumière et se lance dans son set avec une énergie étourdissante. On en prend plein les yeux et plein les oreilles, et ça ne va pas baisser de rythme pendant 35 minutes, chacune d’elle jouée à fond ! Avec leur look DIY moderne et leur énergie joyeuse, les filles dégageant une sympathie immédiate : la chanteuse Amy Love n’arrête pas de répéter qu’elle aime Paris parce que Nova Twins y a été reconnu plus tôt… Bon, on imagine qu’elle dit ça tous les soirs, mais elle paraissait quand même sincère, et faisait sans doute référence à leur passage aux Transmusicales de Rennes voilà 5 ans qui avait en effet fait une petite sensation ! Pour imaginer leur musique, le mieux est de parler de vocaux hip hop sur un hardcore millésimé années 90, mais minimaliste et infusé d’électronique, le genre… Amy organisera rapidement un moshpit devant la scène pour que les spectateurs s’en donnent à cœur joie, et on remarque que la charge est largement conduite par des filles, ce qui fait sacrément plaisir. Elles jouent une bonne partie des titres de leur premier album, sans oublier le morceau qui les a révélées, Bassline Bitch, et tout le monde est content.
A partir du moment où les filles quittent la scène… c’est un peu la panique : tout leur matériel est dégagé pour installer celui de Shame, mais d’une manière très particulière : la batterie est au centre et un musicien sera positionné à chaque coin de la scène carrée, tournant le dos au public et avec ses amplis derrière lui. Où se placer ? La décision n’est pas facile à prendre, la seule chose évidente est qu’il sera de toute manière impossible de bien voir tous les musiciens où que l’on soit. Et puis il y a l’inquiétude de la qualité sonore, vu l’absence d’une sono susceptible d’équilibrer le son des amplis les plus proches. Bref, une idée intéressante qui donne une très belle esthétique à la scène ainsi organisée, et on imagine bien que pour Arte, qui filme et diffuse les concerts, c’est un point très important de différenciation, mais dont la commodité pour les spectateurs présents dans la salle est pour le moins discutable !
Il est déjà 22h25 quand les 5 musiciens de shame montent sur scène, avec une dizaine de minutes de retard sur l’horaire initialement prévu. Ils sont joliment vêtus de smokings (portant l’étiquette Zara, nous le constaterons plus tard quand les vestes – et certaines chemises – auront été dispersées sur le sol !), nœuds papillons, et ils ont chacun un verre à la main, de champagne ou de jus d’orange. Cool ! Mais une nouvelle surprise nous attend quand chacun s’installe à sa place (Charlie Steen s’allonge même sur le sol !) et se met à attendre… buvant et souriant, mais sans rien faire ! Attendant quoi ? Nous ne le saurons pas, mais ça durera une dizaine de minutes avant que le set commence… C’est assez drôle, ou en tout cas très, très inhabituel, mais quand même un peu irritant à la longue. S’agissait-il d’un problème de retransmission ?
Et puis, enfin, le concert commence… et les lads de Londres nous assènent d’emblée deux brûlots (Alphabet, 6/1) de leur excellent second album, Drunk Tank Pink, confirmant en même temps 1) que leur excellente réputation scénique est justifiée 2) que leur musique évolue – sans perdre son urgence punk – vers des terrains plus ambitieux, dissonants, dérangeants parfois. Et c’est une très bonne nouvelle !
Sur scène, Charlie est au contact permanent avec la foule, passant malheureusement la majorité de son temps sur « un côté du carré », et frustrant donc les trois autres, tandis que Sean et Eddie sont concentrés sur leur jeu de guitare, et que Josh, le joyeux bassiste très extraverti – donc explosant le vieux code du bassiste de Rock taciturne – fait une grande partie du spectacle à lui tout seul : courses effrénées, sauts spectaculaires, voilà un tout jeune homme qui ne ménage pas sa peine !
Le son est, comme nous pouvions le craindre, assez moyen, et varie en fonction de là où vous êtes placé autour de la scène, la voix de Charlie étant dans certains endroits peu audible. Mais cela n’a pas l’air de diminuer l’enthousiasme débordant du public qui fête le groupe : les gens braillent les paroles en chœur, ça slamme, ça saute partout, c’est la bonne ambiance punk… même s’il faut reconnaître que la musique que joue actuellement shame est plus anxiogène que festive ! Bien évidemment, les titres du premier album, plus traditionnellement post punk, et en particulier Concrete (très « clashien » pour le coup…), Dust on Trial et le formidable One Rizla (« And you’re clinging to conflict / Just let go », braillons-nous tous avec Charlie !) en quasi final, sont ceux qui déchaînent le plus les passions. Charlie répond chaleureusement à l’amour de son public en regrettant de n’avoir pas pu jouer en France depuis deux ans, et en répétant combien il aime « l’Europe » (on connaît la position anti-Brexit du groupe, mais on ne peut guère s’empêcher de remarquer que, comme la grande majorité des Anglais, il utilise le mot « Europe » pour qualifier ce territoire qui commence au-delà de la Manche !).
Au bout d’une heure, il est temps de boucler le set – non sans avoir promis de revenir au Bataclan, pour plus de chansons en avril prochain – et Charlie monte sur la coursive où un micro a été installé pour lui, pour chanter l’impressionnant Station Wagon, conclusion du second album et donc conclusion de la soirée…
… une soirée qui aura confirmé, malgré les « complications » de la mise en scène télévisuelle, la valeur de shame, qui pourrait bien prétendre à prendre la place de Idles sur le podium du post-punk anglais. A confirmer donc le 1er avril prochain dans notre cher Bataclan, là où naissent les légendes…
Texte et photos : Eric Debarnot
shame – Drunk Tank Pink : “Personne n’a aucune idée de ce qui se passe !”