Dans L’Étrange Voyage de R. L. Stevenson, Jérémie Royer et Fabien Grolleau parviennent à poser des mots et des images sur le travail d’un maître du roman fantastique. Un très bel ouvrage.
J’ai vécu une partie de mon enfance, seul, sur l’Île au trésor. Je dois donc à mon ami Stevenson un pan important de mon imaginaire, où, les jours sombres, je cours me ressourcer. C’est donc avec une vraie joie que je me suis plongé dans ce bel ouvrage.
Fils et petit-fils d’ingénieurs écossais farouchement presbytériens et bâtisseurs de phares, le jeune Robert Louis est courageux, il assume son athéisme, refuse de reprendre l’affaire familiale et traverse l’Atlantique pour épouser une femme mariée et plus âgée que lui. Il surmonte sa constitution fragile pour sillonner le monde. Il aime observer, rêver et conter. Malade, il s’installe à Samoa. Face à un colonialisme triomphant, sa défense des indigènes lui vaudra la reconnaissance des habitants des Kiribati. Il meurt jeune, à seulement 44 ans.
La ligne claire, très légèrement ombrée, de Jérémie Royer est soignée, mais trop sage. Seules les courtes séquences du journal de Fanny Stevenson sont aquarellées en peinture directe. Longtemps, son traitement des aspects oniriques ou fantastiques se fait trop classique, pour se livrer enfin, dans les très belles dernières pages, à une transcription visuelle des extraordinaires intuitions de Stevenson. Alors, Fabien Grolleau se lâche et parvient à décrire le travail de la prodigieuse imagination du conteur. « Utur in antiquam silvam… » Grolleau cite Virgile, repris par Stevenson.
« Il est un conte qui touche de très près au vif de l’existence : celui de ce moine qui traverse une forêt, entend un oiseau chanter un bref instant… et se retrouve, en rentrant, étranger à la porte de son couvent. Car en vérité il s’est absenté cinquante ans ! Cet oiseau ne change pas seulement la forêt, il chante aussi dans les endroits les plus misérables. Toute existence qui n’est pas purement mécanique est tissée sur deux fils : celui de la recherche de l’oiseau et celui de son écoute passionnée. »
Grolleau mets des mots sur ce fantastique trésor caché dans notre imagination tandis que son compère Royer place des images qui nous libèrent. Je vous quitte, je retourne sur mon île.
Stéphane de Boysson