Une seconde soirée du Festival Arte bien différente de la première : l’intensité punk de la veille a laissé place à la coolitude, à l’introspection, et à l’émotion aussi, d’un Damon Albarn très proche de son public de fans enamouré(e)s.
Seconde soirée du Festival Arte et on attend de savoir, en pénétrant dans la Gaîté Lyrique à quelle sauce on sera mangé. A l’entrée, on nous prévient déjà : il faudra vous déplacer autour de la scène car Damon va bouger. Bon, on se prépare au pire, et c’est vrai que, au premier regard, la scène ressemble à un cauchemar, encombrée qu’elle est de pianos, de claviers et de matériel. Choisis ton camp, camarade, mais en sachant que, comme hier, tu ne pourras pas tout voir !
21h00 : Joan Wasser (aka Joan as Police Woman) s’installe à l’un des pianos et attaque un extrait de The Barbarian, le titre phare – de 12 minutes à l’origine – de son nouvel album, The Solution Is Restless sorti le jour même : le regretté Tony Allen passe sur une petite télé à côté de Joan et on entend ses beats intégrés dans la musique. Un silence presque religieux règnera dans la salle, pourtant déjà bien remplie, pour accueillir les morceaux, tous très intimistes, que Joan a choisi de nous interpréter ce soir, au piano ou à la guitare électrique. Elle nous explique que ce concert est le premier qu’elle donne depuis 2 ans, et il est vrai qu’elle semble parfois un peu nerveuse, malgré la bienveillance du public. Elle nous offrira une très belle interprétation éthérée de Geometry of You, encore une fois avec Tony à l’écran, avec un drone au violon et avec le piano-voix mesuré de Joan. Avant de chanter Real Life, un morceau tiré de son tout premier album datant de 15 ans, Joan remercie très élégamment PIAS pour leur support, ce qui est quand même très classe : on sait combien Joan est sensible à l’importance politique et sociale de l’Art et combien l’économie fragile des différents acteurs dans la Musique la préoccupe. Pour Get My Bearings, Damon vient la rejoindre sous les applaudissements, pour l’accompagner à un second piano. On regrettera toutefois que la configuration de la scène empêche les ¾ du public de voir Joan pendant son set… 35 minutes d’un set très beau, mais qui nous donne surtout envie de la revoir dès que possible accompagnée de son groupe !
22h05 : La scène est un peu plus dégagée après que le piano et le matériel de Joan aient été enlevés, mais on reste dans une configuration où seuls deux côtés du carré permettent au public de voir les musiciens, ce qui n’est pas optimal. Damon Albarn arrive – ou revient, si l’on considère son apparition avec Joan – enfin : ses fans – souvent féminines il faut l’admettre, ce qui prouve que, même si on est loin des années Blur, il y a des choses qui ne changent pas – exultent ! Damon, la cinquantaine toujours juvénile, arbore un look décontracté, à la limite du « père de famille en mode relax le week-end à la maison ». Il a quand même revêtu un beau sweat-shirt portant le mot « Bonjour », qu’il confiera plus tard, soigneusement, à son garde du corps qui veille précieusement sur lui tout au long du concert au pied des marches, prêt à bondir en cas de menace (on imagine que Liam Gallagher pourrait s’être glissé subrepticement dans la foule, par exemple !).
Il est accompagné de 4 musiciens : un batteur virtuose qui ressemble à Jeff Bezos lassé de se balader dans l’espace, un guitariste qui restera assis tout le set avec l’air d’être à deux doigts du suicide, un pianiste / saxophoniste brillant et jovial (tellement près de nous, au bord de la scène, que nous pourrons échanger des plaisanteries au long du set), et un spectaculaire bassiste black. Il sera aussi supporté sur quelques morceaux par un quatuor à cordes, installé sur une seconde scène près de l’entrée de la salle…
L’introduction de The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, l’un des quelques titres déjà paru du nouvel album « islandais » de Damon donne le ton de la soirée : calme, introspection, élégance, cool… Damon est au piano, concentré, et on peut craindre un moment que le set ne devienne légèrement… euh… ennuyeux. Il faut attendre Royal Morning Blue pour qu’Albarn, enfin debout, lance vraiment la soirée: généreux, notre homme va se promener tout autour de la scène, pour se rapprocher de son public, et particulièrement des belles femmes autour de lui, auxquelles il n’hésitera pas à prendre la main d’un air charmeur (eh oui, séducteur un jour, séducteur toujours, ce bon vieil Albarn !).
La setlist sera largement consacrée, donc, au nouvel album, qui n’est pas encore sorti, ce qui est évidemment plus difficile pour le public, prié de se concentrer pour découvrir les nouveaux morceaux, mais nous récompensera quand même par des extraits du back catalogue de Damon, de Blur (eh oui !) à The Good, The Bad & The Queen en passant – heureusement – par Gorillaz. Il y aura aussi une belle reprise du vivifiant Go Back de Tony Allen, auquel Damon rend hommage en nous racontant que lorsqu’il l’a vu sur l’enregistrement de Joan, il a senti qu’il lui parlait encore de l’au-delà…
The Tower of Montevideo permet à notre copain saxophoniste de nous en mettre plein la vue sur une musique qui chaloupe plutôt à la manière cubaine qu’uruguayenne (mais là, on pinaille !). Européen convaincu, Albarn déplore la disparition des « Petits Filous » des supermarchés, un laitage essentiel pour la lunch box des écoliers anglais : bon, on ne va parler des hauteurs de sa pensée politique, mais merci pour l’hommage à l’industrie laitière française, Damon !
https://youtu.be/LmfCaHaEa34
On Melancholy Hill, le hit single de Gorillaz, nous met tous franchement de bonne humeur avec sa mélancolie joueuse, et sera suivi de la splendide nouvelle chanson Polaris – belle mélodie et décollages enthousiasmants – qui sera peut-être l’un des moments les plus réussis de la soirée. La conclusion du set sur un This Is a Low, datant du sommet pop de Blur, Parklife, s’avère un bon choix, puisqu’il nous permet de reprendre le refrain en chœur, mais aussi parce qu’il démontre qu’entre tous les groupes montés par Albarn, entre toutes les phases musicales de sa carrière, il a su garder une véritable cohérence.
Malgré les appels insistants des fans après 1h20 de concert, Damon ne reviendra pas (même si l’on pouvait l’espérer, sachant son goût pour les marathons scéniques, depuis le fameux concert danois où la sécurité avait dû l’expulser après plus de quatre heures de show !). Un petit set acoustique privé, loin des caméras et des grues envahissantes d’Arte, ne nous aurait pourtant pas fait de mal, Damon !
Texte et photos : Eric Debarnot