Sa rencontre avec le légendaire batteur Tony Allen, peu de temps avant sa disparition, a amené le nouvel album de Joan Wasser (Joan as Police Woman) dans des territoires inédits pour elle. Nous avons rencontré Joan à l’occasion de son passage par Paris pour le Festival Arte
Benzine : Nous avons l’habitude de vous voir explorer différents types de musique au fil des ans, mais ce nouvel album vous voit vous éloigner de vos origines rock. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de cette démarche ?
Joan : L’instrument sur lequel je compose est ce qui m’inspire, donc quand j’ai commencé à écrire des chansons, je jouais du piano et de la guitare toute seule. Dans le cas de The Solution Is Restless, j’ai organisé la session pour Tony et Dave de façon que nous puissions jouer librement, je n’ai préparé aucune musique d’entrer en studio, pas de « piste de clic », juste la liberté ! Ensuite, j’ai retravaillé ces sessions, j’ai fait beaucoup d’édition et j’ai créé des chansons à partir de celles-ci. Certaines d’entre elles ne sont que 2 mesures de la batterie de Tony, sur lesquelles j’ai écrit une chanson, d’autres conservent beaucoup plus de l’enregistrement original. Donc, l’album est le résultat de ce qui est sorti parce que j’ai commencé avec cette méthode.
J’aime tellement la MUSIQUE, peu importe d’où elle vient, ou de quel genre elle est, j’écoute toutes sortes de musiques différentes. J’ai commencé à jouer de la musique classique, et j’ai écouté du punk rock, tout cela me semble la même chose. Tout ce qui sort de moi, c’est moi.
Je ne planifie jamais, les gens me demandent « Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? », je réponds : « Je ne sais pas ». Les choses arrivent, c’est tout. J’ai rencontré Tony Allen, nous avons fait cette session, je ne savais pas quoi en faire à l’avance. Le verrouillage s’est produit et j’avais tout ce temps !
Benzine : J’ai été très intéressé par ce que vous avez dit sur Geometry of You, et l’intersection entre les mathématiques et la sensualité…
Joan : J’aime les maths, je ne suis pas physicienne, mais je lis beaucoup d’articles scientifiques. Je considère les sciences et les mathématiques comme le contraire de la rigidité, et c’est la façon dont je veux vivre : penser en « noir ou blanc » signifie simplement qu’il n’y a pas d’issue, il n’y a pas de communication, pas de collaboration. Le titre de l’album est tiré de cette même chanson : « Il n’y a pas une seule solution à tout, il y en a plusieurs. Réfléchissons à d’autres façons de faire ». C’est ma vision de la vie, et c’est pourquoi j’aime tant collaborer. Lorsque je joue avec quelqu’un d’autre, cela change ma façon de faire les choses. Comme en science, si vous mettez quelque chose en relation avec autre chose, cela l’affecte ! Est-ce que je dis a un sens ? (rires)
Benzine : Oui, oui, et cela répond à ce qui aurait été ma prochaine question… car, contrairement à la plupart des artistes, vous vous épanouissez dans les collaborations avec d’autres musiciens.
Joan : C’est lié à mon désir d’évolution… et j’ai choisi Tony et Dave parce qu’ils aiment aussi la collaboration, donc ça a été le paradis !
Benzine : Cela a dû être une expérience incroyable de travailler avec quelqu’un comme Tony Allen ?
Joan : C’était un rêve devenu réalité. J’avais joué dans un festival avec The Good, The Bad & the Queen en 2007, mais je ne connaissais pas encore Tony Allen. Je l’ai regardé jouer pendant le festival, je suis restée bouche bée ! En admiration… J’ai rencontré Damon Albarn lorsque nous sommes allés en Éthiopie pour un événement Africa Express, puis j’ai continué à participer à ces événements, ce qui m’a permis de véritablement rencontrer Tony en 2018 à Londres : nous avons immédiatement sympathisé, nous sommes devenus amis pour toujours… Puis nous avons joué de la musique ensemble, et il a dit oui lorsque je lui ai demandé s’il voulait participer à une session d’enregistrement. Quand il est arrivé à la session à Villetaneuse, il a dit : « où est la piste de clic ? » et j’ai répondu : « Je veux juste être libre, je ne veux pas utiliser de piste de clic ». Il a juste dit… « OK », il a compris que je ne l’embauchais pas pour jouer sur ma musique, je voulais la créer sur place avec lui ! C’était tellement amusant. Jouer avec lui vous donne l’impression de léviter, à cause de la fluidité de son jeu, il est à la fois l’océan et le ciel…
Tony a fait exactement ce qu’il voulait, il a collaboré avec beaucoup de gens, il a eu une très belle vie, il avait un esprit très jeune…
Benzine : Et pouvez-vous également nous en dire un peu plus sur la façon dont Dave Okumu a rejoint le projet ?
Joan : Dave plaisante à ce sujet : « Je te surveillais bien avant que nous nous rencontrions ! ». Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il était le directeur musical d’un projet intitulé « Pieces of a Man », un hommage à Gil Scott-Heron au Roundhouse. Nous sommes devenus de bons amis, et j’étais en train de dîner avec lui, je lui parlais de mon projet avec Tony, et ça a été une évidence : « C’est toi qui devrais nous rejoindre »… et il a dit « Oui » ! ça a été très facile (rires)
Benzine : Mais comment allez-vous retranscrire sur scène la musique incroyable de l’album ?
Joan : J’ai un groupe avec lequel j’ai commencé à répéter à New York, et nous créons des arrangements de ces morceaux. Nous les jouerons en tant que groupe, et cela ne ressemblera pas à l’album, mais ce n’est jamais mon intention. Le live est une chose différente ! Quand je vais voir un groupe en concert, je ne veux pas entendre le disque. C’est très amusant à faire, c’est assez complexe, de déterminer qui va jouer quoi… Pour le festival Arte, par contre, je joue en solo, j’ai mis en boucle la batterie de Tony sur une pédale, et je fais des drones avec mon violon. La chanson sur laquelle Damon a chanté, il va venir jouer du piano, nous l’avons répétée hier, donc… nous verrons ce qui se passera ! C’est excitant !
Benzine : Nous vivons une époque très incertaine, la place de l’Art est en train de changer. Comment voyez-vous le rôle des artistes dans ce contexte ?
Joan : Pendant le confinement, l’Art a permis de garder les gens en vie, mais c’était privé, nous ne pouvions pas le partager. La façon dont j’ai géré, moi, la pandémie a été de me replier sur moi-même et de créer un album… Dans l’espoir que nous serions à un moment donné en mesure de sortir du confinement ! À cette époque, la population de New York était décimée, c’était le silence dans la ville, tant de gens mouraient, on n’entendait que les sirènes, c’était terrible. La seule façon de faire face à cette situation était de faire encore PLUS d’Art. Des gens qui ne se considéraient pas comme des artistes ont commencé à créer. Et aussi… collaborer autant que possible : avec la musique maintenant, vous pouvez envoyer des fichiers, et les gens enregistrent dessus, les renvoient, c’est tellement facile…
Benzine : C’est une façon très positive de tirer de bonnes choses d’une très mauvaise situation. J’avais préparé ma dernière question, « quelle est la suite ? », mais vous m’avez dit que vous n’aviez pas de plans…
Joan : (Rires) J’ai beaucoup de tournées prévues, donc c’est ça la suite. Visitez tous les pays possibles ! Je croise les doigts pour que nous puissions nous déplacer sans problème au printemps 2022…
Propos recueillis par Eric Debarnot