On aimerait écrire que Imaginos 2 – Bombs Over Germany est un chef d’œuvre, mais il souffre de trop d’imperfections pour ça. Reste qu’il est parfaitement défendable de le considérer comme une autre pièce majeure de la discographie de ce groupe imaginaire qu’est le Blue Öyster Cult d’Albert Bouchard
Dans toute l’histoire du Rock, il y a très peu de groupes au sein desquels le batteur a tenu un rôle essentiel dans la composition des titres au moment où le groupe connu sa célébrité : on pourra citer Soft Machine avec Robert Wyatt, Genesis avec Phil Collins, certainement moins célèbre mais plus significatif encore Kaiser Chiefs avec Nick Hodgson, compositeur talentueux dont le départ marqua le déclin brutal du groupe… et le Blue Öyster Cult avec Albert Bouchard. Bouchard, dans l’ombre des deux frontmen charismatiques du groupe, Eric Bloom et Buck Dharma, fut pourtant responsable de l’écriture ou au moins de la co-écriture d’une bonne partie des grands morceaux du groupe, en particulier sur les trois premiers albums, véritablement séminaux. Ce fut lorsqu’il quitta le groupe, juste avant Revolution by Night, qu’on réalisa que sans lui, le BÖC avait perdu une bonne partie de sa magie : sans que l’on puisse dire si ce fut lié au départ des Frères Bouchard, le succès populaire de ce groupe phare des années 1970 s’effilocha vite.
Ayant mené de son côté une carrière marginale, Albert se rappela à nos bons souvenirs en 2020 avec la sortie – si longtemps différée – de la « vraie » version de cet Imaginos qui lui avait été confisqué en 1988 par son co-auteur Sandy Pearlman (auteur du texte The Soft Doctrines of Imaginos). Le succès critique de Re-Imaginos l’amena à nous promettre la suite intégrale de sa grande œuvre, prévue comme une trilogie… ce qui nous amène aujourd’hui à parler de cet Imaginos 2 – Bombs over Germany, qui saute temporellement du XIXe siècle gothique à une seconde guerre mondiale plus ou moins uchronique.
Sur le modèle de Re-Imaginos, nous voilà donc face au second mouvement d’un « Opéra Rock » délirant qui inclut de nouvelles versions – beaucoup moins « heavy métal » – de 8 chefs d’œuvre du BÖC ainsi que 6 morceaux inédits d’Albert, le tout s’intégrant, de manière plus ou moins forcée, dans la trame narrative de la « saga Imaginos ». Le gros problème des disques d’Albert a toujours été son chant, pour le moins négligent, et Bombs Over Germany débute de façon assez décourageante avec un When War Comes (inédit donc) qui se veut symphonique, tout en exposant le concept « historique » et militaire de l’album tout entier, et en instaurant d’une atmosphère martiale cinématographique. Assez mal chanté et souffrant de maladresses dans sa production qui n’est pas au niveau des ambitions de l’auteur, cette longue introduction pourrait faire office de repoussoir pour toute personne non avertie s’aventurant dans cet album. Et le fait que les deux titres suivants soient également parmi les moins forts de l’album, en particulier la version audacieuse mais mal équilibrée du titre grandiose qu’est 7 Screaming Dizbusters, n’arrangera rien.
Qui persistera se verra pourtant récompensé tant ce qui suit est fascinant, voire par instants, très beau… même si cette beauté nait paradoxalement de l’indécision formelle qui prévaut souvent. On a lu des propos enthousiastes de fans qui ne craignent pas d’affirmer qu’il s’agit là du retour du vrai BÖC : ce que l’inclusion malicieuse dans les paroles de The Shadow of California de phrases comme « The Symbol Remains » ou « Revolution by Night » peut presque confirmer. Et si Albert était à lui seul un meilleur compositeur que les musiciens actuels de son ancien groupe ? C’est une théorie qui se défend. Et que supporte d’ailleurs les réinterprétations remarquables de OD’d on Life Itself, Before the Kiss, Mistress of the Salmon Salt (une chanson immense, souvent négligée dans le songbook du BÖC) et surtout The Red and the Black et Cities on Flame, magiques avec la prépondérance de la guitare acoustique, les interventions d’un violon et les irruptions de soli électriques sauvages.
Ce qui nous laisse face à un problème majeur : nul ne comprend mieux l’essence des chansons d’Albert Bouchard qu’Albert Bouchard, mais pour les chanter et les produire, la présence à ses côtés des autres membres originaux du BÖC est irremplaçable. La tragédie que fut la scission du groupe en 1981 n’a jamais été aussi tangible qu’à l’écoute de ce Bombs Over Germany, qui aurait dû être un réel chef d’œuvre et n’est qu’un grand disque malade.
Mais comme ici, on chérit les grands disques malades, on attend avec impatience Imaginos 3, la conclusion de l’œuvre maîtresse d’Albert Bouchard (qui aurait dû être l’œuvre maîtresse du Blue Öyster Cult)…
Eric Debarnot