On ne se lassera sans doute jamais d’analyser les chefs d’œuvre d’Hergé, et le travail que propose Pierre Fernault-Deruelle de revenir case par case sur les techniques de narration et les thèmes des 7 Boules de cristal s’avère passionnant. A lire avec cet album de Tintin ouvert à côté, évidemment !
Même s’il y a eu une période où les experts de l’œuvre d’Hergé ont mis au pinacle Tintin au Tibet et les Bijoux de la Castafiore, il nous a toujours semblé que les 7 Boules de cristal (à égalité peut-être avec le Secret de la Licorne) constituait l’apogée absolue de son travail. Car on y est témoin de la rencontre, improbable et que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans Tintin, de la ligne claire au maximum de son efficacité avec un surnaturel à la limite du gothique, une rencontre qui s’avère particulièrement féconde. Pour le dire simplement, la momie de Rascar Capac fut sans doute l’un de nos premiers traumatismes littéraires enfantins, et nous en serons toujours reconnaissants à Hergé.
La jolie collection Zoom sur Hergé a eu l’excellente idée de permettre à Pierre Fernault-Deruelle, professeur émérite à l’Université de Paris I, ayant mené des réflexions approfondies sur les techniques de narration et sur l’image fixe – et par ailleurs passionné, comme beaucoup d’entre nous, par l’œuvre d’Hergé -, de se livrer à une analyse case par case des 7 Boules de cristal… Non pour en extraire une substantifique moelle qui nous aurait échappé – ce qui serait étonnant vu notre nombre de lectures et relectures de ce chef d’œuvre – mais bien pour exposer, pour décortiquer les techniques et l’art d’Hergé quand il s’agit déployer ses sortilèges en alignant ses fameux « petits dessins » ne payant a priori pas de mine…
Si l’on ressort de la lecture de ces (trop) courtes 120 pages à la fois ravi et plus instruit, voire plus intelligent, il faut bien reconnaître que l’on a pu avoir un peu de mal à y rentrer : la langue de Fresnault-Deruelle est belle mais complexe, tant dans son vocabulaire « instruit » que dans sa syntaxe, et il nous aura bien fallu quelques pages pour nous y habituer.
Mais le principal problème de Hergé ou le retour de l’indien, comme c’est probablement le cas pour les autres ouvrages de cette collection, c’est la politique des ayant droits d’Hergé qui interdit la reproduction des dessins du maître ! Évidemment, l’auteur contourne partiellement cette interdiction et arrive à l’exploiter, en substituant aux extraits des 7 Boules de cristal des illustrations de diverses sources, divers auteurs, diverses époques, qui font écho au propos d’Hergé, voire dans certains cas qui ont pu constituer pour lui une source d’inspiration… Il reste qu’on ne tirera le maximum – de plaisir et d’apprentissage – de ce livre qu’en suivant les démonstrations et les hypothèses de l’auteur grâce à son propre exemplaire des 7 Boules de cristal, ouvert à côté !
Et c’est alors un autre niveau de lecture que Fresnault-Deruelle nous offre, qui enrichit encore l’œuvre, en en dévoilant la multitude de mécanismes subtils, voire secrets, qui ont, génération après génération, permis cet enchantement des lecteurs. Bref, on referme Hergé ou le retour de l’indien éblouis, non seulement par le savoir de Fresnault-Deruelle, mais surtout par l’impensable maîtrise du 9è Art dont témoigne l’œuvre d’Hergé.
Il ne nous reste donc plus qu’à attendre la suite, la Malédiction déjouée, consacrée au Temple du Soleil !
Eric Debarnot