Mohamed Nedali nous embarque à Safi, une petite ville côtière du Maroc, sur les pas d’un jeune écrivain poète qui va défier police et des islamistes. Un roman courageux pour dénoncer l’obscurantisme et célébrer les belles lettre et la poésie.
A Safi, port du Maroc sur l’Atlantique, les jeunes s’ennuient, dans l’océan les bancs de sardines se font de plus en plus rares, les conserveries ferment les unes après les autres et le chômage gangrène la population surtout celle des jeunes qui ne savent plus comment s’occuper. Certains supportent le club de football de la ville y trouvant notamment prétexte à de belles distributions d’horions, beignes et autres châtaignes sur la tronche des supporters des clubs adverses. D’autres, savamment endoctrinés par les extrémistes religieux, se prennent pour les gardiens de la charia qu’ils entendent faire régner en punissant sévèrement ceux qui ne la respectent pas. Les deux bandes cohabitent mal sous le regard goguenard de la police qui canalise leur violence respective et, parfois, même, l’utilise pour régler quelques contentieux personnels sans passer par les procédures officielles.
Dans la marge de ce monde qui contient mal toute l’énergie accumulée au cours de ses longues séquences d’ennui, l’auteur et ses deux amis, Saïd et Najib, s’adonnent, eux, à la poésie tout en rageant de ne n’avoir aucune chance que leurs textes soient édités un jour, leur famille est bien trop pauvre pour mettre le moindre dirham dans un aussi piètre investissement. Alors, las, l’auteur commet l’irréparable, l’injure suprême, la profanation ultime, il se faufile dans le local du muezzin où il saisit son micro pour déclamer un poème très subversif :
« Peuple borné peuple ignare, / Réveille-toi ! / Sors de ta léthargie / Reviens à la vie ! / Renais au monde // … »
Les islamistes interviennent et le corrige sévèrement avant que la police s’interpose, saisisse le coupable et lui inflige une nouvelle et sévère correction. Le poète parvient cependant à s’évader et, avec l’aide de ses deux amis tente une cavale salvatrice …
Ce roman, c’est un peu l’histoire de ce petit port, au passé riche et glorieux qui meurt peu à peu, comme bien des villes marocaines, sous les coups de la crise économique, de l’autoritarisme du pouvoir central et de la violence des islamistes. C’est aussi l’apologie des belles lettres et notamment de la poésie qui a tellement illuminé le monde arabe dans les siècles anciens et qui reste un porte grande ouverte pour les jeunes en mal d’avenir. C’est surtout une image du Maroc actuel sous la rigueur de la férule royale et un appel à la prise de conscience populaire pour sauver le peuple de la misère et de la violence. Une vive réaction pour redonner un espoir à une jeunesse qui n’a plus aucune illusion ni aucun avenir. Comme à Safi où « les habitants, …, y croupissent gentiment, de génération en génération, dans le confort abrutissant de leurs convictions religieuses ».
Je crois qu’il faut saluer le courage de Mohamed Nedali qui n’hésite pas à critiquer vertement l’autoritarisme du pouvoir et la violence obscurantiste des religieux malgré les risques qu’il encourt. Il participe à sa façon à la tentative de réveiller les populations.
Denis Billamboz