Superbe soirée du Festival les Femmes s’en Mêlent à Petit Bain, qui, autour de la prestation déjantée et habitée des New-Yorkaises de Gustaf, confirme une fois de plus combien le Rock – féminin en particulier – est vivant et créatif en 2021.
On a beau montrer du doigt les milieux de la politique, du business, du sport pour leur retard en ce qui concerne la parité hommes femmes, la situation n’est guère plus brillante dans le Rock, qui s’est pourtant toujours fièrement vendu comme révolutionnaire, progressiste, voire libérateur vis à vis des comportements « vieux et dépassés »… le Rock est trop souvent masculin, voire macho, alors qu’on constate que son public est depuis deux décennies largement féminin. La nécessité en 2021 d’un festival comme les Femmes s’en Mêlent n’a donc pas encore disparu, et c’est quelque part désolant…
En ce jeudi soir, c’est sur la péniche de Petit Bain que ça se passe, avec une belle affiche de femmes rockers dans tous leurs états !
20h10 : le duo Ottis Cœur, c’est-à-dire Camille et Margaux, devient un trio sur scène avec le renfort imposant de l’impressionnante Sonia à la batterie : mais, fondamentalement, on a affaire à deux filles dissemblables – une grande brune et une petite blonde – qui chantent pourtant parfaitement bien ensemble sur toutes les chansons. Les premières notes laissent présager un power pop un peu sucré à la Go-Go’s, avec des textes en français… ce qui est un premier bon point pour elles (puisqu’en dépit d’une scène Rock française meilleure et plus riche qu’elle ne l’a jamais été, on compte sur les doigts des deux mains les groupes qui ont le courage ( ?) de chanter en français !)… Et puis rapidement, on se rend compte que cette musique tape dur, et sec aussi, comme on aime, et on comprend mieux les références aux riot grrrls, à partir de l’impressionnant le son de ta voix, puis du joli règlement de compte de Léon (… qui est un con !) : on réalise alors qu’Ottis Cœur est bien plus dans le rock que dans le sucre. Plus le set avance, plus on se prend d’amour pour cette musique à la fois légère, élégante et dure, qui a de plus l’audace de nous parler frontalement de choses ordinaires de la vie, et pas des plus plaisantes. Belle efficacité du single Je marche derrière toi et final un peu garage avec Devinez la Fin ! 35 minutes qui se sont avérées parfaitement emballantes : une belle découverte, un groupe à suivre.
21h05 : on est heureux de revoir le trio mi-prog, mi-stoner Grandma’s Ashes dans des conditions meilleures qu’au Supersonic. Et ce soir, il faut bien dire que le son est parfait et les lumières suffisantes pour pouvoir jouir plus sereinement de leur musique complexe, labyrinthique, tout à tour fascinante et… parfois un peu frustrante. Frustrante parce que si la tension est toujours superbement omniprésente, les explosions de violence sont trop rares pour que notre jouissance soit totale. Les filles ont une classe folle ce soir en noir et blanc, et déploient un savoir-faire technique qui impressionne. Les derniers titres du set de 45 minutes permettent des envolées plus agressives qui illustrent le potentiel du groupe.
22h05 : Gustaf, c’est un quintette originaire de Brooklyn, comme une bonne partie de la nouvelle musique qui compte aujourd’hui, et on peut facilement les prendre pour des rigolos (-tes, plutôt, même si le groupe comprend un mâle, ce pour quoi Lydia Gammill s’excusera en riant plus tard), parce que ça sourit beaucoup sur scène. Et parce qu’il y aura pas mal de petites, voire de grosses plaisanteries au cours du set de plus d’une heure et quart : faire jouer la guitare par le public, faire monter les filles de Ottis Cœur sur scène juste pour crier une fois, sortir de scène avant les rappels en jouant à une sorte de « chat » où la délirante Tarra désigne le musicien qui doit disparaître, ce genre de… gamineries. Mais quand Lydia se prend au jeu (de scène), elle devient aussi possédée que… disons le Nick Cave d’autrefois… et on n’a plus envie de rire devant les claques qu’elle se met dans la figure ou sur la tête, et les regards de démente dangereuse qu’elle nous jette. Du coup, assister à un concert de Gustaf, ça nous a presque incités à écrire quelque chose du genre : « J’ai vu le futur du Rock et il portait une camisole de force ». Gustaf, c’est beaucoup plus excitant qu’on l’imagine en écoutant l’album et en regardant les clips, car ça fait un peu peur, et il y a même deux ou trois moments où l’on ne passe pas loin de cette fameuse « bascule » vers l’hystérie générale.
Mais, surprise, surprise, Lydia calme le jeu dans la seconde partie du set, qui prend la forme de longs monologues – dont un en français, bravo et merci – presque hip-hop, mais souriants, cette fois : une quasi-logorrhée qui joue sur la répétition des mots, au contenu politique, posée sur une rythmique métronomique assurée par une basse qui cisaille littéralement l’atmosphère de Petit Bain.
Et non, nous n’avons pas encore parlé de la musique elle-même… eh bien, sur ce point, il y avait débat : on est clairement du côté de Bodega, ce qui ne surprend pas vu l’appartenance des deux formations à la nouvelle scène de Brooklyn. On pourrait identifier des influences B-52’s, Tom Tom Club ou Devo, mais le tout en quelque sorte dans une version décharnée : avec Vram, le guitariste, qui ne fait qu’à s’amuser, avec Tarra qui joue la choriste au premier plan en faisant des plaisanteries avec des cochons en plastique et avec sa voix distordue et masculinisée par les machines, la responsabilité du son repose intégralement sur la section rythmique de Tine à la basse et Melissa à la batterie. Et croyez-nous, cette section rythmique fait des merveilles !
Evidemment, le fait que la setlist contienne l’intégralité de l’album nous aide à trouver nos repères au milieu du chaos général, et des bombes déjantées et drolatiques comme le génial Cruel, le dansant The Motions ou l’agressif et plus post-punk Mine sont riches en sensations fortes. Et originales.
Bref, une superbe soirée, qui confirme une fois de plus combien le Rock est vivant et créatif en 2021, et combien, même largement marginalisée, cette musique-là est essentielle. Bravo et merci aux organisateurs des Femmes d’en Mêlent !
Texte et photos : Eric Debarnot