Courtney Barnett prend son temps, et a même ralenti son rythme de travail pendant la pandémie. Mais est-ce une relation de cause à effet ? Le résultat, son troisième album, est peut-être son plus beau à date.
A la différence de bien des artistes qui ont publié des albums pendant la pandémie, Courtney Barnett est restée silencieuse, et a laissé trois années s’écouler depuis son second et très remarqué second album… Mais comme l’indique le titre – en forme d’excuse, ou tout au moins d’explication ? – de son nouveau disque, Things Take Time, Take Time !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce nouvel album prouve que la jeune artiste australienne n’a pas paressé durant les confinements successifs. Elle a juste travaillé « lentement » sur de nouvelles compositions, qui soient au niveau de celles de ces deux premiers albums : Things Take Time, Take Time bénéficie de plusieurs mélodies très accrocheuses, comme celle du réjouissant Take It Day by Day qui nous fera certainement danser de joie lors de la prochaine tournée de Courtney et chanter tous ensemble : « Don’t stick that knife in the toaster / Baby life is like a rollercoaster / And there’s nothing wrong with getting older / Keep one eye on the prize / Don’t give up just yet, you got it. » (Ne mets pas ce couteau dans le grille-pain / La vie est comme un tour en montagnes russes / Et il n’y a rien de mal à vieillir / Garde un œil sur la ligne d’arrivée / N’abandonne pas tout de suite, tu me comprends)… A condition de rester bien conscients que le feelgood feeling de la chanson peut être interprété facilement de manière totalement inverse, et que cet ami qu’il est question de réconforter ici a besoin de gros mensonges bienveillants pour ne pas sombrer dans le désespoir et en arriver au suicide !
Il y a aussi la ravissante ritournelle de Sunfair Sundown, dont la mélodie semble laisser entrer une lumière plus vive dans la vie de Courtney Barnett, presque une joie de vive inédite… Mais ces petits bonheurs, liés à l’obtention d’un confort matériel minimal (« Oh what a day, and congrats on the keys to your place. You’ve escaped the rat race as they say. » – Oh quelle journée, et félicitations pour les clés de ta maison. Tu as échappé à la course des rats, comme on dit.), ont toujours pour elle un aspect fragile. Ils ont été arrachés à la violence du monde, et on sent bien que la tristesse n’est jamais remisée au placard que pour quelque temps.
Et puis Courtney remet ça sur Before You Gotta Go, une véritable perle qui illumine de tendresse et de bienveillance ce qui est quand même une chanson d’adieu, sur un joli riff chaloupé presque traditionnel : « Before you gotta go; I wanted you to know; you’re always on my mind. If something were to happen my dear, I wouldn’t want the last words you hear, to be unkind. » (Avant de partir, Je voulais que tu saches, je pense toujours à toi. Si quelque chose devait arriver, je ne voudrais pas que les derniers mots que tu entendes soient des mots méchants.).
« In the morning I’m slow… » (le matin, je suis du genre lente…) : Rae Street, le premier single, qui sert d’introduction à l’album, explicite clairement quand même qu’il ne faut pas espérer un gros changement chez Courtney : si le refrain de la chanson est immédiatement mémorisable, c’est aussi que les messages sont clairs, et que Courtney n’est pas devenue du jour au lendemain une grande admiratrice de la société moderne : « Well time is money and money is no man’s friend » (Eh bien, le temps c’est de l’argent et l’argent n’est l’ami de personne), et la pandémie n’a certainement pas amélioré à ses yeux les rapports humains. « And all eyes on the pavement, I’m not gonna touch ya don’t worry so much about it. » (Et tous les yeux baissés vers les pieds, je ne vais pas te toucher, ne t’en fais pas.).
Il y aura des gens pour se plaindre que cet album ne voit pas, comme Tell Me How You Really Feel, son précédent, Courtney nous offrir toute la splendeur de son jeu – il est vrai impressionnant – à la guitare électrique (à l’exception notable de son très long solo, à la Neil Young, sur Turning Green), et que le choix ait été toujours clairement fait d’une orchestration dépouillée. Il est clair que ce n’est pas avec cette approche presque lo-fi (même s’il ne faut pas exagérer, le son est superbe tout au long de l’album…) que Courtney deviendra une star internationale tournant dans les stades ! Mais c’est bien cette adéquation entre la sobriété des orchestrations et l’aspect magnifiquement humain de ses chroniques au jour le jour qui fait la singularité et le prix de la musique de Courtney Barnett.
Things Take Time, Take Time se conclut de manière bouleversante par deux chansons lentes, Splendor et surtout Oh the Night, une balade parfaite, qui ne tire sur aucune des ficelles évidentes du genre et n’abuse jamais de pathos, mais hisse encore l’album à un niveau supérieur en bouclant la boucle par rapport à son introduction : « Sorry that I been slow, yknow it takes a little time for me to show, how I really feel. » (Désolé d’avoir été lente, tu sais qu’il me faut un peu de temps pour montrer ce que je ressens vraiment)
Oui, Courtney, on te connaît bien désormais, et, même si tu es lente, on t’aime encore plus comme ça.
Eric Debarnot