Film qui parlera sans doute particulièrement à ceux qui ont eu 20 ans en 1980, et qui ont failli voir leur jeunesse sombrer dans la grisaille provinciale, les Magnétiques est un vrai beau geste de cinéma. Qui nous rappelle que pour que quelque chose puisse commencer, il faut bien que quelque chose finisse.
Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président. Le 11 mai, nous apprenons la mort de Bob Marley. Notre joie aura été de courte durée. Les plus mûrs d’entre nous – comme Jérôme Bichon – pleurent déjà la disparition de Ian Curtis, avec tous ces jeunes hommes qui portent déjà le poids du monde sur leurs épaules (« Here are the young men, the weight on their shoulders / Here are the young men, well where have they been? » – Decades, de Joy Division), et crient leur désespoir au micro des radios pas encore libres. Les plus immatures, comme Philippe Bichon, n’ont pas encore trouvé leur voix et rêvent comme tous les adolescents de ces Teenage Kicks que chantent les Undertones (« Are teenage dreams so hard to beat? / Everytime she walks down the street / Another girl in the neighbourhood / Wish she was mine, she looks so good »).
Philippe, qui ne vibre que sur les ondes magnétiques, tombe amoureux de la seule femme qu’il ne peut pas aimer, et se fait envoyer, coup de chance qu’il ne réalise pas vraiment, par l’Armée Française là où tout est en train d’advenir, à Berlin. Le punk rock, puis la cold wave se métissent d’électronique, et si l’amour nous déchirera forcément (« love will tear us apart », l’hymne évidente qu’on n’entend jamais sur la bande son des Magnétiques, mais qu’on a forcément à l’esprit), il faudra une vraie tragédie pour que le monde brûle enfin, et que cet incendie magnifique réveille la parole de Philippe. Le monde moderne vient de naître, et on sait bien, nous, vu de 2021, quelle catastrophe ce sera, mais tous les espoirs sont permis pour Philippe, abandonnant les courses en mobylette dans la campagne, fuyant la province et le drame familial pour enfin vivre.
A l’image de son héros mutique, impuissant (au moins émotionnellement), mais qui survit in extremis, le film de Vincent Maël Cardona, dont on imagine forcément qu’il raconte ici son histoire, commence par nous accabler, nous attrister, au milieu de toute cette grisaille alcoolisée et droguée d’une France qui étouffe dans une médiocrité sans horizon. Et puis, avec le son qui naît peu à peu (grâce à une technologie naissante dont on célèbre ici les outils, magnétophones à bandes et cassettes au premier plan) et transcrit de manière abstraite – mais pourtant convaincante – la vitalité de l’âme de Philippe, les Magnétiques trouvent leur tonalité et leur âme en même temps. Et à la fin, l’émotion nous submerge enfin : le film est devenu beau, en se débarrassant d’une hérédité trop lourde comme d’une histoire d’amour aussi conventionnelle que la vie. Le film a pris acte de la fin d’un monde, qui permet à une autre de naître. Le film est devenu beau exactement en même temps que son « héros ».
Les Magnétiques est dédié à Philippe Pascal, et c’est très bien comme ça. Même si chacun d’entre nous a trouvé quelqu’un d’autre, musicien disparu ou ami décédé (ou pire, oublié) à qui penser. Et, quels que soient les (petits) défauts de ce premier film, sa capacité à évoquer une époque charnière à travers des personnages qui nous ressemblent totalement finit par nous sembler quasi miraculeuse.
Eric Debarnot