Il faut être inconscient pour vouloir adapter à l’écran le colossal cycle de Fondation d’Isaac Asimov ! Plus que pour adapter Dune ? Probablement… Et la série Apple TV+ semble même un moment capable de relever le défi… avant d’échouer – néanmoins sans honte – devant l’énormité de la tâche.
Alors que la planète des fans de SF classique s’embrasait à l’idée de voir adaptée à l’écran l’une des œuvres les plus chéries de « leur littérature », Dune, un défi tout aussi colossal était lancé par la plateforme Apple TV+, qui s’attaquait ni plus ni moins qu’à Fondation, la série de livres d’Isaac Asimov, dont on peut objectivement affirmer que son importance est encore plus grande. Ecrit par celui que l’on considère comme l’un des trois plus grands auteurs de Science-Fiction, le cycle de Fondation fut conçu comme une approche « historique du futur », et reçut l’insigne honneur d’être la seule œuvre du genre à recevoir un Prix Hugo de « la meilleure série de science-fiction de tous les temps », ni plus ni moins !
Si avec Dune, Herbert avait voulu proposer une double réflexion écologique et politique, inspirée d’ailleurs de la culture arabe et de l’Islam, Asimov avait joué lui, le scientifique auteur de nombre de livres de vulgarisation, sur l’opposition entre une tyrannie totalitaire toute puissante et la liberté de pensée qu’offrent les théories scientifiques, et en particulier les mathématiques. Et si cette lutte entre un Empire contrôlant l’univers et une petite bande de rebelles décidés à le renverser, a été évidemment l’une des inspirations de George Lucas pour son Star Wars (hormis pour les extra-terrestres, pullulant chez Lucas et radicalement absents chez Asimov !), l’aspect très abstrait et anti-spectaculaire des récits d’Asimov rendaient Fondation tout aussi inadaptable que Dune, mais pour des motifs bien différents.
On était donc curieux de découvrir ce que Josh Friedman et David S. Goyer allaient trouver pour rendre Foundation acceptable aux yeux du grand public, et justifier ainsi des investissements financiers aussi considérables que ceux requis pour les huit saisons prévues. Et le premier épisode de la série est absolument magnifique – au point que certains d’entre nous se sont exclamés, dans un moment d’extase : « ce que Villeneuve est en train de rater avec son Dune, Apple TV+ va le réussir avec Foundation ! »…
Ce démarrage en fanfare s’appuie sur un scénario fidèle à Asimov, sur des effets spéciaux remarquables, sur une très belle esthétique, et surtout sur des acteurs charismatiques : le génial Jared Harris qui fait encore une fois des merveilles en mathématicien–conspirateur qui va inspirer la création d’une « fondation » sur une planète très éloignée du siège de l’Empire, mais aussi l’impressionnant Lee Pace en empereur, et aussi les superbes Lou Llobell et Leah Harvey dans les rôles des deux personnages principaux, d’ailleurs représentées comme deux femmes de couleur qui vont amener le changement dans toute la galaxie. C’est d’ailleurs là que Foundation surpasse clairement le film de Villeneuve – et ce sera le cas tout au long des dix épisodes de cette première saison -, dans sa capacité à conter une histoire colossale sans jamais perdre la vérité et l’émotion humaine.
La suite va malheureusement s’avérer une relative déception, même si, heureusement, les 3 derniers épisodes relèvent sensiblement le niveau, et permettent à la saison de se terminer sur une note haute, qui nous permet de garder espoir pour la suite. Le problème de Foundation est la maladresse de son scénario, et pas parce qu’il s’écarte des livres : c’est en fait la partie qui n’est pas chez Asimov, l’idée – de fait assez brillante – du clonage éternel de l’empereur pour symboliser la stagnation de la dictature, ainsi que le récit d’une conspiration de palais contre lui, qui donnent lieu aux meilleurs moments de la saison !
Alors que, à l’inverse, quand il s’agit de trouver comment raconter l’histoire du livre, les scénaristes se plantent largement, embrouillant la chronologie, complexifiant le récit au lieu de le simplifier, et ayant recours de nombreuses fois à des « deus ex machina » puérils ou à des invraisemblances risibles pour « rattacher leurs wagons » au train de la fiction.
Pire encore, tout au moins pour les innombrables fans d’Asimov, le principe essentiel de la « non-violence », à la base son œuvre, est constamment trahi par l’usage d’armes et le recours systématique à la violence par les protagonistes, comme – ou presque – dans n’importe quel blockbuster hollywoodien !
Foundation s’avère donc une série de SF spectaculaire, très bien réalisée et interprétée, souvent magnifique esthétiquement, et surtout plutôt intelligente, malgré ses incohérences (ça aurait d’ailleurs été un comble de produire une œuvre stupide à partir d’un matériau de base aussi brillant que les idées d’Asimov !) et son rythme inégal. Mais c’est aussi une série qui aura plus de chance de plaire à ceux qui n’ont pas (encore) lu les livres.
Pour savoir si oui ou non il s’agira d’une plus grande réussite que le Dune de Villeneuve, il nous faudra donc attendre les prochains épisodes de ces deux œuvres : rien n’est encore joué.
PS : A quand une adaptation des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury ?
Eric Debarnot