Il y avait peu de chances que Toy, l’album de Bowie rejeté par sa maison de disque en 2001, soit un grand disque. Heureusement, il contient une poignée de chansons que les fans seront heureux de pouvoir enfin écouter.
La disparition de David Bowie en 2016, survenue juste au moment de la parution d’un album, Blackstar, où il avait retrouvé toute sa créativité et sa « présence », a été pour nombre d’entre nous un véritable drame personnel. Et nous avons rapidement oublié combien la carrière de Bowie avait été décevante, voire régulièrement inintéressante à partir de la moitié des années 80 et jusqu’à son étonnant retour en 2013. De ces « décades perdues », restait le regret pour certains fans de la non-parution de l’album Toy, constitué principalement de nouvelles versions de chansons composées à ses tout débuts, c’est-à-dire avant l’album David Bowie de 1969 (désormais connu sous le titre de Space Oddity).
C’est l’un des plus grands intérêts de Brilliant Adventure (1992-2001), le cinquième coffret des archives « David Bowie Era » que de nous offrir enfin la possibilité d’écouter officiellement (puisque des version pirates en avaient circulé…) Toy, et de pouvoir juger sur pièce s’il s’agissait là d’un grand album manquant, ou bien d’une autre œuvre anecdotique de notre idole qui avait largement mis son « génie » en mode pause. Toy ayant été refusé par la maison de disque en 2001, il était toutefois peu probable qu’on ait affaire, comme ça peut être le cas régulièrement avec les Archives de Neil Young (bien plus copieuses, il est vrai) à une perle encore inconnue.
Dès la première écoute, on retrouve malheureusement ce manque d’éclat caractéristique de la période, sous une production anonyme de Mark Plati (et même si Tony Visconti était de l’aventure, il est difficile de reconnaître d’aucune manière son style). Le groupe accompagnant Bowie est le même qui avait brillé à Glastonbury quelques mois plutôt, et il est donc difficile de ne pas imputer la platitude d’une bonne partie de l’album à Bowie lui-même, qui avait décidément la tête ailleurs.
Sans véritable surprise, les meilleurs moments de Toy sont les réinterprétations de quatre chansons superbes de l’album David Bowie de 1967 paru chez Deram (une petite merveille, largement sous-estimée du fait de sa production très « variétés 1960 ») : The London Boys, Karma Man, Let Me Sleep Beside You et Silly Boy Blue (magnifique, pour le coup…). Leur offrir un écran plus rock, plus contemporain fonctionne bien, sauf pour The London Boys, qui en perd sa crédibilité originale, née de cette fragile incertitude qui en faisait une vignette presque « nouvelle » vague de la vie d’un jeune londonien de l’époque.
On pourra apprécier aussi Hole in the Ground (malgré ou à cause de sa légèreté) et Baby Loves That Way (quand même largement inspiré de Smokey Robinson !), seuls titres où la fameuse bonne humeur qui régnait apparemment dans le studio est perceptible. Shadow Men, composé à l’époque de Ziggy Stardust, avec ses accents crooner synthétique, aurait pu compléter la songlist de Station to Station, ce qui est évidemment un gros compliment…
Pour le reste, on a du mal à s’intéresser à des compositions aussi peu accrocheuses que I Dig Everything, You’ve Got a Habit of Leaving ou encore – dans une moindre mesure – Can’t Help Thinking About Me : ces titres étaient ordinaires en 1965 / 66, quand David Jones se cherchait dans un contexte « mod », et essayer de les rendre plus énergiques ne fait qu’en confirmer la vacuité. Quant à la conclusion de Toy, sur la chanson éponyme, elle est au mieux insignifiante.
Il faut aussi noter que la liste de chansons originales incluait aussi Liza Jane, le premier enregistrement de Bowie avec the King-Bees en 1964, ainsi que les chansons Afraid et Slip Away (sous le titre Uncle Floyd), repris sur Heathen en 2002, et que l’ordre des titres était différent.
Toy – dont on ne saurait objectivement critiquer le rejet à l’époque – est d’un intérêt non négligeable dans la perspective actuelle, où tout ce que l’on ne connaît pas encore de Bowie est excitant. L’album devrait connaître une publication séparée en janvier 2022, pour ne pas obliger les fans à acheter le coûteux coffret Brilliant Adventure (1992-2001) : espérons quand même que nous éviterons la pochette hideuse qui est annoncée en ce moment !
Eric Debarnot