Soirée étonnante hier au Cabaret Sauvage, qui a permis de découvrir le tout nouveau duo o. et surtout d’apprécier (ou non, suivant les spectateurs) la marche forcée des petits rigolos de black midi à l’avant-garde du Rock…
Ce nouveau concert parisien de black midi, nous l’attendons depuis près de deux ans, puisque, à l’annulation initiale de fin 2019, a succédé la pause forcée de la pandémie. Depuis, le guitariste Matt Kwasniewski-Kelvin a quitté le groupe qui a sorti un second album, Cavalcade, encore plus clivant du fait d’un éloignement quasi systématique des règles du jeu post-punk que suivait encore le groupe à ses débuts. Du coup, alors que le froid de l’hiver qui est tombé sur Paris saisit l’habituelle troupe des passionnés qui se disputeront le premier rang, les questions sont nombreuses quant au concert auquel nous allons enfin assister. Mais également évidemment sur l’évolution de la situation sanitaire puisque les nouvelles du monde sont mauvaises : d’ailleurs, on nous annonce à l’entrée du Cabaret Sauvage que le port du masque à l’intérieur de la salle sera à nouveau strictement contrôlé…
20h05 : o. est un tout nouveau duo, que black midi a embarqué sur sa tournée : elle, Tash, est à la batterie (et au design des t-shirts psychédéliques…), lui, Joe, est au saxophone baryton et aux pédales. Leur musique est sans surprise, vue la prépondérance du saxo, largement jazzy, mais ne recule pas devant des montées en puissance plus traditionnellement rock. Conjuguant ambiance nocturne de circonstance (qui a pensé à Morphine, à cause d’un saxophone baryton assez peu couramment utilisé dans le Rock ?), délires avant-gardiste (avec citation du All I Need de Radiohead, nous semble-t-il…) et pulsion sensuelle, cette musique aura rapidement conquis le public du Cabaret Sauvage, qui leur fait la fête. 45 minutes originales et beaucoup plus stimulantes que prévu. Sinon, on est bien d’accord que choisir comme nom de groupe « o. » n’est pas la meilleure idée du monde pour être identifiable sur le web, ils nous annonce donc qu’ils apparaissent sur Instagram sous le nom de o.the.band (à ne pas confondre avec un groupe nommé A Band Called O !) : migraines annoncées…
21h15 : On est passé de la Cristalline à l’Evian sur scène, c’est bien la preuve que les stars de la soirée arrivent. Et au-delà de l’eau d’Evian, les black midi aiment aussi Édith Piaf, qui après nous avoir fait patienter, annonce leur entrée avec la Vie en Rose (après quand même une déclaration de toute-puissance calquée sur les matchs de catch !).
Le guitariste parti désormais remplacé par un impressionnant saxophoniste, le math rock des débuts du groupe s’est plus que coloré de free jazz, et le groupe plonge désormais franchement dans un chaos sonore que n’aurait pas renié les Stooges de la deuxième face de Fun House. Geordie fait des déclarations baroques et incompréhensibles puis mime Donald Duck ; Cameron, le bassiste, s’engage dans des joutes spectaculaires avec Kaidi, l’imposant – et très classe – saxophoniste. Tandis qu’à gauche, Seth, aux claviers, reste relativement sérieux, en face de lui, Morgan abat un boulot colossal à la batterie, confirmant à chaque morceau qu’il est sans doute le batteur contemporain le plus talentueux.
Il y a, on le sait, chez black midi beaucoup d’humour farfelu (Geordie et Seth font semblant de se battre sur scène avant de venir assassiner Kaidi avec un mini-cimeterre en plastique, le genre …), mais surtout une maîtrise musicale colossale qui leur permet d’aller toujours plus loin dans la dissonance, le tumulte, et l’inconfort. Face à cet univers délirant, une bonne partie du public choisit de danser dans un maelström de folie, qui fait monter la température de la salle au-delà du raisonnable. D’autres spectateurs s’émerveillent devant l’audace du groupe, tandis que certains trouvent ça profondément ennuyeux. Quelque part, tout le monde a raison : entre virtuosité et canular, cocon de bruit nonsensique et pics d’énergie démente, black midi ne choisit pas, et passe de la grande escroquerie du rock’n’roll au génie improbable sans jamais cesser de s’amuser. Et de jouer avec nous.
Pour résumer – en le simplifiant outrageusement – ce set de 1h20, sans rappel bien entendu : le début a été littéralement supersonique, avec l’enchaînement furieux de 953 et Speedway du premier album, qui a mis la fosse du Cabaret Sauvage en liesse, la fin effrayante d’audace brutale (John L et Slow du second album), tandis que le milieu, où le groupe a enchaîné des compositions parfois incompréhensibles et qui nous ont semblé nouvelles, ou du moins, inconnues au bataillon, a ressemblé à un labyrinthe soul jazz, au sein duquel Geordie venait parfois jouer au crooner improbable !
S’il y a un verdict final raisonnable, ce serait que black midi bouleverse de plus en plus les codes de la musique actuelle, confirme pour le coup son importance qui dépasse la hype initiale, et est désormais un groupe précieux. Pas toujours aimable, mais précieux.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot