Encore une réussite sud-coréenne ! Après Squid Game, voilà que Netflix nous propose un convaincant Hellbound, qui dépasse très vite son point de départ « de comic book » pour nous offrir une allégorie saisissante sur la mise en place d’une dictature – religieuse ou politique – se nourrissant de la peur.
Le triomphe planétaire de Squid Game a donc fini par imposer au grand public (ou tout au moins celui qui n’allait pas au cinéma et qui n’avait pas été soufflé par Parasite) la Corée comme pays majeur du 7è Art et de la série TV. Et, étant donné le fonctionnement opportuniste des plateformes, on va certainement nous servir à la louche de la série coréenne, en usant et abusant de la recette à la mode consistant à mêler fantastique / SF et thriller ! Alors que Apple TV+ met en ligne son Dr. Brain, Netflix nous propose un objet assez étrange, Hellbound, dont l’affiche et la bande-annonce, avec leurs Hulks grisâtres sortis des Enfers, risquent bien de servir de repoussoir immédiat à une bonne partie de téléspectateurs, effrayés devant la possibilité d’une version sud-coréenne des enfantillages US à la Marvel / Disney.
Si Hellbound est en effet tiré d’un « webtoon », ce serait dommage de se laisser rebuter par cette idée de l’apparition d’un ange (drôle d’ange, quand même !) venant annoncer à certaines personnes la date et l’heure de leur mort, et qui plus est, que, ayant péché, elles seront directement envoyées en enfer… Une apparition suivie, à l’instant annoncé, par le surgissement violent de trois créatures démoniaques venues pour tuer les soi-disant pécheurs et les réduire en cadavres calcinés et méconnaissables. Car, une fois passée la scène d’introduction – spectaculaire quand même et surtout très brutale (on est en Corée, pas à Hollywood !) -, Hellbound déploie son véritable sujet, qui est la manière dont la dictature se nourrit de la peur, et dont des individus ou des organisations sont toujours prêts à utiliser les bouleversements de la société pour arriver au pouvoir… En mentant, en trichant, en abusant de la crédulité de la population, en manipulant l’opinion grâce à la déformation de la réalité…
Hellbound peut être vu d’abord comme une charge violente contre la religion organisée (qu’elle soit officielle ou le fait de sectes), qui s’appuie sur l’inexpliqué pour imposer à la société un cadre normatif – ici la notion très chrétienne de péché (sans que l’on sache vraiment ce que ce mot signifie ou recouvre), mais aussi le concept, commun à nombre de religions, de « volonté divine » incompréhensible, mais à laquelle il convient de se soumettre de toute manière. On sait que la Corée est un pays où le Christianisme est dominant, et il est difficile de ne pas interpréter la série de Yeon Sang-Ho – le réalisateur du mémorable Last Train to Busan – comme une attaque frontale contre l’institution religieuse !
On peut aussi étendre le commentaire social et politique de Hellbound à une dénonciation des méthodes bien connues – particulièrement visibles en ce moment – de l’extrême-droite : de Trump à Zemmour, en passant par Boris Johnson, il s’agit toujours, comme dans Hellbound, de répandre via les médias une interprétation effrayante d’une menace « étrangère » mettant en péril la structure sociale et même la « vie telle qu’on la connaît », afin de convaincre le peuple de se soumettre à un système de contraintes sensé être le seul capable de le protéger.
Très « coréen » formellement, Hellbound a l’intelligence de ne jamais peindre pour autant ses protagonistes uniquement de noir ou de blanc : on appréciera particulièrement le magnifique personnage de Jung Jin-Su, le « président » de la secte prenant le contrôle du pays, aussi haïssable que charismatique, et finalement très touchant, mais chacun des personnages semble avoir plus de choses à dire (ou à cacher) que le scénario ne nous révèle. Ce qui confère à Hellbound, très loin de son aspect superficiel de comic book, une ambiguïté et une profondeur inattendues.
Que cette première saison (car, bien entendu, les dernières images suggèrent un rebondissement surprenant de l’intrigue) de Hellbound soit en fait constituée de deux histoires presque indépendantes de 3 épisodes est assez inhabituel, comme peut s’avérer frustrant le fait que le versant « fantastique » du scénario ne soit jamais « challengé », mais soit un acquis, servant uniquement de point de départ à la fiction. Mais le plus important dans Hellbound, au-delà de la fantaisie de son thème et de la brutalité de son traitement, c’est bien que l’on va croire à chaque seconde à la description de cette société qui sombre dans le fanatisme, dans la peur et dans la dictature…
Pas si loin de chez nous !
Eric Debarnot