Get Back revient sur une session d’enregistrement historique du fab four, qui aboutit au concert sur le toit de Apple Music à Savile Row Londres : dernière prestation scénique des Beatles au grand complet. Un documentaire somptueux que le réalisateur Peter Jackson arrive à polir pour qu’il dépasse, et de loin, le simple objet de culte pour Beatlesmaniaque.
Une première version de Get Back, le film, est déjà sorti dans les années 70. Les sessions filmées par les caméras de Michael Lindsay-Hogg devaient être la matière première du dernier film que le quatuor de Liverpool devait à sa maison de disques avant rachat de son contrat par EMI. Mais quel film ? le dernier en date, pour la télévision, The magical mystery tour a fait un flop relatif et s’avère un gouffre financier pour les musiciens, puis Ringo et George ne sont pas “chauds” pour jouer à nouveau la comédie à l’autre bout du monde. Qu’à cela ne tienne, Macca a une idée : retourner aux studios de Twickenham et y filmer la préparation, dans les conditions du live, puis le concert “spécial” filmé pour un public de hasard qui s’attroupe autour du groupe. Ces sessions sont un échec cuisant. Le projet capote, les caméras continuent de tourner mais plus personne ne semble savoir dans quel but : une émission de télé, les coulisses de l’enregistrement d’un nouvel album en préparation mais non prévu, les répétitions d’un concert ? C’est cette option qui est retenue pour la version seventies du documentaire. Lindsay Hogg, qui a enregistré les répétitions du concert, diffusera le film peu après la sortie de l’album Let it Be, soit après la dissolution du groupe. L’histoire deviendra : le film des répétitions d’un groupe déjà sous tension en vue de son dernier concert officiel à quatre, sur les toits de Londres.
Peter Jackson se retrouve dépositaire de la totalité des rushs de ce film, dont la petite histoire dit qu’ils dormaient jusque ici dans les caves d’EMI. Le temps a fait son œuvre. Et le groupe « à la mode » en fin de sixties est devenu la légende du rock que l’on sait. Tout le monde se rappelle qu’ils n’ont plus jamais joué ensemble après Savile Row, se remémore la fin tragique de Lennon en 1980 puis celle, douloureuse, de Harrison en 2001. Dans plus de 60 heures de sessions et moments de vie, sur bande, Jackson effectue un travail d’orfèvrerie du tri, tronçonné en 3 copieux épisodes de plus de 2h, disponibles sous abonnement à Disney+.
Son montage devient une immersion dans la vie de studio des Beatles en 1969 : une chronique du tournage du film le plus raté de toute l’histoire des documentaires, une plongée dans l’ambiance des sixties, un copinage intime avec les légendes du rock. Jackson propose une trame calendaire, depuis l’entrée au studio de Twickenham jusqu’au concert sur le toit de Savile Row. Il fait la narration de ces journées, des doutes, des tensions, des égos, des moments de grâce et garde même les atermoiements du réalisateur, enregistré dans les rushs, qui au fur et à mesure du projet, ne sait plus trop ce qu’il est en train de filmer exactement sur ces heures de pellicule, avec un matériel et des moyens humains bien plus imposants que les vlog de youtubeurs d’aujourd’hui.
Et la magie opère. Elle n’est pas que musicale. Plongée en 1969. Le white album est publié depuis un an. Les sessions d’enregistrement ont accru les tensions. Les Beatles sont devenus des égos, les possibilités techniques des studios EMI les ont transformé en rats de laboratoire sonore, Yoko Ono entre dans la vie du quatuor autant que dans celle de John Lennon, Brian Epstein leur manager et figure paternelle évidente est décédé depuis deux ans. Paul, qui se sent pousser une âme de leader, pense qu’un retour aux sources de l’enregistrement en prise directe, jouer ensemble en studio, peut resserrer les liens. Or, ça tombe bien, ils doivent un dernier film à leur maison de disques historique. Et si ils pouvaient faire d’une pierre deux coups…
Bien sûr musicalement, il y a une forme de jouissance mélomane à voir éclore, sur pellicule les prémices de ces morceaux qui sont devenus, depuis, des hymnes intemporels. Ainsi ce Road to Marrakech esquissé par Lennon sur film et qui aura une destinée bien au delà des session (il n’y aura aucun spoil dans cet article), ou l’éclosion puis l’explosion musicale de Get Back et Let it be, hymnes fils rouges de ce documentaire. Rien que cette raison strictement musicale vaut qu’on se plonge dans les 6h de making of d’un album que propose Get Back le film: punaise on voit les Beatles en répète pendant plusieurs semaines, on voit les modes d’écriture des uns et des autres, le multi-instrumentisme de chacun, l’alchimie du quatuor… Les Beatles au travail. Simple, beau, avec une qualité d’image impressionnante: ils ont 28 ans, la barbe de McCartney le gratte, ils croquent la musique. Ce sont des génies, mais on ne dirait pas, ils s’en moquent même souvent, de leur statut bankable sauf quand il s’agit de faire patienter les débiteurs : les stars c’est eux. Puis l’adjonction d’un claviériste arrivé en cour d’enregistrement, Billy Preston, transcende vraiment le groupe, musicalement. C’est beau cette énergie créative. Oui bien sûr plusieurs fois je me suis passé les images au ralenti pour voir comment Lennon joue tel accord de 7e, comment il fait pour faire vrombir sa guitare ou Macca pour larseniser sa basse Höfner…
Mais ce n’est pas tout. Jackson prend le parti d’utiliser la narration fil rouge, « vont ou ne vont-ils pas donner cette émission de télévision? » qui sert de prétexte aux images, vont-ils sortir l’album Get back en parallèle? Jackson crée le narratif utile au feuilletonnage et les plot twist ne manquent pas dans ces semaines d’enregistrement. George Harrison quitte-t-il le groupe? Quelqu’un va-t-il hurler contre Yoko Ono à un moment ou l’autre… Vous le saurez en retournant au plus près des musiciens dans les deux prochaines heures. Jackson garde des éléments que personne ne garderait dans un film à la gloire du groupe. Les clapmans qui apparaissent dans le cadre, l’oeil rouge de fatigue, les bâillements, les images ratées où apparaît le second cameraman dans le champ ou la perche au-dessus du conciliabule. Il accentue le côté documentaire sur le documentaire du making-of et garde parfois des scènes qui s’éloignent de la répétition pour dire en filigrane ce qu’il adviendra plus tard dans la vie du groupe. Ou ce qui aurait pu ne pas arriver s’ils avaient mis en pratique les paroles qu’ils s’échangent parfois en off, quand les micros de la salle d’enregistrement s’éteignent mais pas ceux de Michael Lindsay-Hogg…. Plus qu’une répétition, Jackson en fait la narration du point où arrive le groupe sous pression, mais pas encore décidé à jeter le gant de l’expérience commune. On apprend beaucoup des démons du groupe, les égos, les compagnes, les conseils parfois étranges d’un entourage interlope….
De la même manière Jackson s’attache à garder les scènes qui “expriment” les individualités et la capacité du groupe à devenir génial quand elles convergent. On découvre un McCartney dirigiste, mais mû par l’angoisse de toujours “faire mieux”, un Lennon zébulon drôle visiblement au taquet quand il se retrouve avec ses potes dans une pièce pour faire du rock. Le réalisateur peint un Harrison guitariste frustré ou un Ringo Starr qui sert de pilier métronomique et vital. Il y a énormément de scènes qui disent la vie de famille, les relations avec George Martin, flegmatique producteur au cheveu gominé et cravate, mais aussi Glyn, Linda, Yoko, Mal le factotum du groupe qui trouve ici un vrai second “rôle” comme en ont toutes les bonnes séries.
Enfin, au travers des rushes, Jackson raconte une époque. On voit les cookies, le vin blanc, le contraste des baskets de Lennon ou du presque glam look de Glyn Johns avec tous les costards cravate qui tournent autour du groupe, les coiffures des attachés de prod et des fans, mais aussi les pulls sans manche des assistants discrets et industrieux, les litres de thé demandés, les accessoiristes, les centaines de clopes…. Les sixties filmées en couleur, une immersion dans le Londres de 1969 (les camions, la gueule des micros, les bandes, les innovations technologiques…) rep à sa Mad Men.
Somptueux, indispensable, les grands mots me viennent au clavier immédiatement pour décrire ce documentaire. Jamais je n’ai aussi longtemps regardé des génies en train d’inventer des chansons géniales avec une aisance complètement hallucinante. Dès lors, on complètera adéquatement le binge watching de la série par la réécoute attentive des albums Abbey Road et Let it Be, traces discographiques du moment musical évoqué par la série Disney + Et quant à moi je me vais redécouvrir des chansons plus anecdotiques comme Two of Us, qui rentre directement dans mon panthéon des chansons des Beatles.
A voir. Indispensablement.
N.B : prévoir la journée de sommeil après binge. Vraiment.
Denis Verloes