Passer de la scène à la série TV pour mieux (s’)évoquer et fustiger les futilités contemporaines du bien-être et du wokisme : tel semble être le credo de la féroce humoriste Blanche Gardin, que l’on retrouve avec plaisir sur le petit écran. Avec appréhension aussi, tant la comique pousse aux extrêmes sa critique d’une société narcissique et absurde au bord de l’implosion dépressive.
A la manière d’un faux-documentaire, qui emprunte autant au reportage d’info que de la série hilarante The Office et consorts, La Meilleure version de moi-même suit Blanche, humoriste parisienne, (autobiographie, donc…?) en proie à de douloureux problèmes gastriques depuis qu’elle foule les planches des scènes théâtrales. Son naturopathe lui conseille, en plus de se délester littéralement de ce qu’elle avale, d’arrêter l’humour – et du coup d’aspirer à une vie moins acerbe, cynique et plus saine. Pour atteindre, au bout du compte, la meilleure version d’elle-même.
Rarement une série n’aura été aussi loin dans l’extrême de ce qu’elle dénonce – ou se moque – quitte à amener son spectateur sur le terrain du malaise ou du jugement. Gardin frappe fort, dur, et ose s’attaquer à l’inattaquable contemporain : le wokisme si prégnant dans l’actualité, qui en prend ici plein la tronche. Le féminisme, la question du genre, le sectarisme, la précarité, les théoriciens du complot, la quête insensée d’un bien-être à tout prix, tout est secoué dans un mixeur drôlatique et déviant pour exploser ensuite de manière viscérale – ou retomber comme un étron mou. La série est à la fois puissante et désagréable à confronter la bienséance ou pas des situations et nos sentiments contradictoires. Grosso modo, on rit ou acquiesce de scènes dont on sait pertinemment que c’est n’est jamais politiquement correct, ou même socialement convenu. Elle prend même à bras-le-corps ce pourquoi on l’a auparavant critiquée, pour rebattre les cartes et jouer l’ambivalence entre l’excuse et le « j’en-remets-une-couche ». Résultat : du beau monde va se retrouver en PLS face à la série, qui va être j’imagine autant adorée que conspuée.
Objectivement, le premier tiers de cette production Canal+ est assez désagréable à regarder et pas franchement réussi, par manque d’humour, d’audace ou de ce que l’on peut attendre de la réalisatrice : un début aride et sans intérêt, si ce n’est poser les bases peu passionnantes d’une lente évolution de personnage qui se découvre elle-même – tout en faisant décoller le concept vers du grand art du dézingage en règle. Jouissif, évidemment, comme ce milieu de saison et cette retraite-week-end entre femmes pour accentuer leur lutte féminine vers plus de sororité et de confiance en soi, jusqu’au lâcher prise total – et cyniquement loufoque.
Au final, un drôle d’objet télévisuel, introspectif et un peu égocentré, comme si la série de Judor Platane rencontrait les protagonistes du film Problemos et les pantins médiatiques qui s’agitent sur tous les plateaux télés pour dénoncer tel ou tel agissement qui vont contre leurs convictions. Gardin ne prend plus de pincettes, elle extirpe de tout ce fumier contemporain un miroir sans tain, dégueulasse mais quand même poilant parfois, malaisant souvent, pour au final nous proposer une caricature de nous-mêmes, plongés dans une société devenue trop alertée, trop consensuelle, trop folle pour agir enfin de manière posée ou sensée. La série ne trouve aucune solution, elle nous tend juste la glace, avec ses reflets très limites. A nous de la contempler – ou détourner le regard.
Jean-françois Lahorgue