Poursuivons cet échange avec Yann Tambour de Stranded Horse qui nous explique tout autant le monde de son projet musical que sa perception de la terre qui l’entoure. Avec une acidité, une lucidité mais aussi avec une grande humanité, Yann Tambour brosse à grands traits le constat d’un univers aussi effrayant qu’enthousiasmant. Se cache derrière cet alias un être de contrastes, d’humeurs et de pensées profondes. La preuve avec la seconde partie de cet entretien passionnant.
Considérez-vous le projet Encre comme un projet désormais disparu et Stranded Horse comme votre seule entité et comme un groupe à part entière ?
Yann Tambour : Pour ce qui est de Stranded Horse, au jour d’aujourd’hui, c’est les deux. Ce n’est pas forcément facile à faire comprendre. C’est à la fois, quand même le projet d’un songwriter, c’est un projet auquel je voue beaucoup plus de temps que le reste du groupe que ce soit dans la manière d’écrire les morceaux à la base, de les penser en amont et après même quand on a fait des sessions, de trier, de faire des edits après des sessions studio, d’être présent au mixage et au mastering, d’être impliqué dans tous les pans du projet. Et en même temps, cela reste aussi un groupe sur cet album parce qu’il y a une identité créée par un line-up qui est fixe et qui est là du début à la fin, qui s’est beaucoup investi dans la création de cette identité. Eux, parfois, ont du mal à se situer par rapport à ça. C’est un groupe qui crée des arrangements, qui est vraiment propriétaire des arrangements et qui en est à la source. Je propose également des arrangements sur les morceaux bruts. Globalement, nous ne sommes pas investis à part égale, mais Grand Rodeo, c’est à eux aussi. Ce sera très parlant sur scène. Je peux aussi jouer les morceaux de Grand Rodéo en solo et ce seront des versions différentes, identifiables mais différentes. C’est en cela que c’est les deux.
Le groupe de Grand Rodéo c’est Grand Rodéo et les morceaux de Stranded Horse restent les morceaux de Stranded Horse. Pour ce qui est d’Encre, ce n’est pas forcément un projet révolu, cela reste ouvert. Je pourrai très bien faire un nouveau disque d’Encre, j’y pense souvent. Cela aurait clairement une autre forme, cela ne serait pas du tout la même chose. J’ai un peu envie là mais en même temps, je dis ça tous les ans. Cela implique de se poser devant son ordinateur, reprendre des trucs de sequencing. Ce n’est pas ce qui me passionne le plus mais en même temps j’en ai envie. Reprendre un ordinateur comme outil de travail pour ma musique ne me réjouit pas toujours mais faire ces architectures sonores comme je les faisais m’intéressent encore. Je pense que je reprendrai les choses là où je les ai laissées avec Encre A Kora (2006) pour donner une suite à tout ça. Il est tout à fait possible que je m’y remette.
La Kora fait d’abord son apparition sur l’Ep Encre A Kora (2006). Comment s’est faite cette rencontre avec cet instrument et qu’y avez-vous trouvé que vous ne trouviez pas ou plus dans votre musique ?
Yann Tambour : Ce que je ne trouvais pas dans ma musique jusque-là, c’était sans doute un peu de lumière. Symboliquement, dans la Kora, on n’est pas forcément dans des teintes hyper joviales, c’est un instrument qui porte une forme de tristesse, de nostalgie. J’aime vraiment comparer ça à la Bossa car il y vraiment quelque chose de similaire dans ce rapport à la douce tristesse, quelque chose d’un peu introspectif. Ça a été un peu charnière pour moi car cela m’a apporté une autre perspective sur la manière dont je pouvais exprimer mes intentions. On reste dans la teinte de ce que j’ai envie d’exprimer, on reste dans cet univers avec en plus une forme de lumière qu’il n’y avait pas dans Encre.
On parle souvent de l’importance de l’environnement dans l’appréhension de la composition pour un musicien. Votre musique semble avoir toujours hésité entre une forme de ruralité, de bucolisme mais aussi de bruissement du rythme d’une ville. Un peu comme ces griots africains, ceux des villes et ceux des lieux plus reculés.
Yann Tambour : Cela dépend des moments, je ne dirai pas ça de Humbling Tides par exemple qui me semble au contraire très littoral comme je l’ai déjà expliqué. Remarque, c’est pas totalement vrai ce que je dis là, Humbling Tides a été enregistré dans la Manche mais je l’ai beaucoup écrit en Angleterre, à Bristol. Après, quand j’écrivais à Bristol, j’étais dans le même contexte que dans la Manche. Je me promenais beaucoup sur le littoral avec un petit carnet, je me baladais beaucoup sur la côte quand j’habitais là-bas, je prenais ma voiture pour aller sur la côte sud souvent. Par contre, Luxe est beaucoup plus chaotique, je l’ai composé un peu partout, pour beaucoup à Dakar qui est une ville vraiment urbaine. Dakar, c’est dense, dense, dense ! Quand vous parlez de griots des villes, vous avez tout à fait raison. Prenez Ballaké Sissoko, pour écrire, il a besoin d’aller à Bamako. Il m’expliquait une fois que quand il jouait, il aimait se calquer sur le rythme de la parole des gens autour de lui. C’est un besoin pour lui. Je ne sais pas où il en est aujourd’hui, peut-être qu’il fonctionne différemment. Clairement lui, il s’inspire d’un environnement urbain.
Boubacar Cissokho, c’est pareil, c’est vraiment un gars de la ville. Dakar, c’est une ville très dense avec des voitures qui passent partout, c’est donc un urbain quand il participe à Luxe. J’ai pas mal écrit ce disque à Dakar et quand j’étais au Sénégal, on ne s’est quasiment pas retrouvés dans des contextes bucoliques. Encore une fois, cela n’est pas volontaire de ma part. Tous les lieux, que vous le vouliez ou non, habitent à un moment donné votre musique. Je pense que c’est plus là que cela se situe la présence de ces deux environnements. Luxe a aussi été écrit à Marseille parce que j’y vivais à l’époque et avec Marseille, vous êtes typiquement dans ce truc où vous avez à la fois le littoral et l’hyper urbanité d’une ville qui pulse. Luxe, c’est Marseille, Dakar, un peu Bruxelles et un peu la Normandie. C’était une époque où j’avais une vie très éclatée (Rires). Le premier album de Thee Stranded Horse, lui, correspond vraiment à un retour à mon environnement de naissance
Pour comprendre le personnage Yann Tambour, je pense qu’il faut aborder l’anglophonie chez vous. C’est quoi ce rapport à cette Angleterre, une forme de fascination ?
Yann Tambour ; En fait, j’ai toujours grandi dans un environnement très anglophile et anglophone. En face de la maison de mes parents, il y a Jersey. Quand j’étais gosse, il y avait une antenne de TV sur Jersey et une autre sur Rennes, j’avais un « switch » à, la maison, j’avais la télé anglaise ou la télé française. Quand j’étais gamin, mon père m’envoyait pas mal faire des échanges en immersion dans des familles. Il y a toujours eu ça à la maison, j’ai toujours grandi dans ce climat. Le rapport à l’Angleterre a été présent durant toute mon enfance. Ma compagne, par exemple, est franco-britannique et on entretient un rapport très similaire à cette double-culture. Il n’y a pas que les origines qui déterminent le rapport à une culture, il y a aussi le parcours. Mon père est très anglophile, cette langue fait partie de mon quotidien depuis très longtemps. Adolescent, je lisais très peu en Français, quasiment qu’en Anglais. C’était moins habituel pour notre génération alors que c’est presque la norme pour beaucoup de plus jeunes. J’ai le sentiment que l’UE a permis cela.
Quel regard portez-vous sur l’Angleterre de l’après Brexit ?
Yann Tambour : Ca me désespère, ça me froisse et ça me fout souvent la nausée. Quand vous avez, comme moi, un rapport important à l’anglophonie, cela complique tout. Ma compagne par exemple qui est franco-britannique a deux passeports. Si demain, elle décide d’aller s’installer en Angleterre, cela ne posera aucun problème alors que pour moi, la problématique ne sera pas la même. Je n’ai plus le droit. Mais c’est bien sûr encore plus désolant pour les britanniques. C’est dramatique ce qui s’y passe. Ils sont passés d’un moment où ils pouvaient voyager partout à des contraintes ahurissantes. Pour mes amis musiciens anglais, c’est terrible.
Il est aujourd’hui plus facile pour un musicien français d’aller jouer en Angleterre que pour un musicien anglais de venir jouer en Europe. C’est quand même magnifique d’avoir réussi à générer ça, c’est une industrie hyper importante dans le pays, c’est fou de se tirer à ce point une balle dans le pied. Ce qui me désole le plus, c’est que c’est un pays qui me semblait plus juste que le nôtre en termes de pluralisme et dans son rapport au multiculturalisme quand j’y vivais à la fin des années 90 ou à la fin des années 2000. J’ai l’impression d’y avoir beaucoup appris sur les rapports humains sur l’écoute et la sociabilisation. Les britanniques ont normalement des standards très élevés dans les rapports sociaux. Voir le Brexit se produire et l’image que ce pays nous renvoie à travers ça, cela me désole. Voir tout cela partir en fumée dans des négociations toutes plus aberrantes les unes que les autres avec des positionnements plus bas que terre qui ne correspondent pas du tout à l’image que j’ai de la culture britannique, c’est atterrant et je vous avoue, assez violent pour moi.
Vous évoquiez le terme de surréalisme pour parler des paroles de vos chansons, j’ai parfois l’impression que vous utilisez votre langue mais aussi l’anglais sur deux types de registre, parfois, les mots sont avant tout des objets rythmiques dont le sens n’est pas le principal acteur, parfois vous vous inscrivez plus dans un rôle de storytelling. Qu’en pensez-vous ?
Yann Tambour : Je ne suis pas forcément d’accord sur cette notion de mots comme des objets rythmiques. Après sur mes disques plus anciens, je vous avoue que j’ai un peu oublié comment j’ai pu employer ma technique d’écriture. Peut-être que sur les deux premiers Stranded Horse, on retrouve un peu ce que vous décrivez. De toute façon, je ne fais pas un choix de phrase qui peut avoir un rôle rythmique ou sémantique. Je cherche la phrase qui va bien fonctionner pour les deux. Il faut qu’elle puisse sonner et dire quelque chose à la fois. Je ne fais pas vraiment de distinction. Je crois que j’ai des exigences sur les deux plans un peu tout le temps. Quand je parle de surréalisme, je ne pense pas forcément au courant littéraire, je l’emploie plus comme un adjectif pour venir décrire la démarche. Il y a des paroliers que j’adore comme Bob Dylan et David Berman. Je trouve beaucoup de similitudes entre David Berman des Silver Jews et Dylan. Certes, sa mort lui a permis de sortir d’une certaine confidentialité mais il reste injustement très méconnu. J’aime aussi beaucoup les premiers Brigitte Fontaine, je trouve nombre de similitudes dans la démarche d’écriture entre ces trois auteurs, par leur envie de défier la logique, un certain sens de l’absurde et des images incongrues et en même temps très parlantes. Même quelqu’un comme Léo Ferré est un peu là-dedans.
Pensez-vous être dans un acte poétique dans vos textes ?
Yann Tambour : Comme le mot artiste, je n’aime pas le mot poésie, je le trouve trop chargé. Mais, il faut pas se mentir, je fais effectivement peut-être quelque chose qui relève de cela. Je ne me pose pas de questions, en particulier celle de la légitimité. On ne peut pas faire de choses personnelles si on s’inhibe trop. Sinon, paradoxalement, pour quelqu’un qui aime le chaos et l’absurde, j’ai aussi mes lubies. Je suis très attaché à la rime, à la symétrie des rimes et à la symétrie tout court. J’ai mes contradictions. Même dans la composition musicale. En groupe, j’ai mis vachement de temps à ne faire qu’un cycle et pas deux. Quand je joue, souvent, je fais deux cycles et les musiciens me disent « Mais pourquoi tu fais deux cycles et pourquoi tu ne commences pas maintenant ? ». Et je sais pas que leur répondre. Il y a des trucs comme ça, c’est bizarre d’être à la fois dans des formats très éclatés où je pars dans un rythme et je reviens sur un autre et en parallèle d’être obsédé par les nombres pairs. Dans l’écriture, il y a un peu la même chose, il faut que cela rime. Les rimes sont rarement asymétriques. J’aime à la fois le chaos, les images étranges, j’aime bien marier les choses difficilement mariables, ce qui n’empêche pas d’avoir un attachement à des structures un peu immuables. Je pense aussi que c’est grâce à ces gimmicks, ces tics que l’on forge une unité et une identité plus homogène.
En ces temps de recul et de replis sur soi, votre rapport au monde et à une ouverture d’esprit s’entend dans vos paroles, j’en veux pour preuve le texte de Monde sur Luxe :
Débarqué là,
Je ne sais pas où vont les pas
La foule abonde
Elle nous emmènera
Mais moi je m’ouvre au monde
C’est lui qui se referme
Quel est la place d’un artiste ou d’un artisan dans ce monde, quel serait son rôle et son utilité selon vous ?
Yann Tambour : Je crois que ce texte que vous évoquez est plus caustique que cela. Je crois qu’il faut le comprendre plus ainsi : le personnage mis en scène voit le monde se refermer, passif, et ne soupçonne pas y avoir sa part. Il est convaincu d’être ouvert au monde, pas les autres. Je pense qu’il faut savoir s’interroger sur ses certitudes, sur la place privilégiée que l’on occupe et se demander si celle-ci ne vient pas avec une nécessité de se remettre en question, sans quoi, à laisser trop de monde sur le carreau on finit par payer le prix fort. Je pense que chaque événement difficile que l’on a pu traverser cette dernière décennie doit nous amener à nous interroger sur nos manquements. Malheureusement la réponse générale se situe trop dans le rejet et la rigidification à mon sens. Après, je ne m’exclus pas de ces privilégiés un peu absents aux réalités hein, je me reproche souvent de ne pas faire preuve d’assez d’égards, s’il s’agit de critique, il s’agit aussi d’auto-critique.
Je crois que si l’artiste ou l’artisan plutôt (j’aime pas le terme artiste et j’ai vraiment du mal à me l’appliquer) est utile à quelque chose, c’est dans un premier lieu à apporter une certaine forme de réconfort, un univers parallèle peut-être, une alternative dans laquelle on peut échapper à tout ça, un truc qui permet de ressentir des émotions plus riches que le contexte et le climat ambiant, particulièrement aujourd’hui. Avec un peu de chance, même si je ne prétends pas en être forcément capable, en proposant des choses qui viennent un peu bousculer les habitudes et les certitudes, faire découvrir autre chose et apporter un peu d’ouverture.
En fait, je ne sais pas si on parle de moi ou si on parle de la place de l’artiste en général, mais on va dire que je décris là ce que je pourrais attendre de mon travail dans l’idéal, si je me posais la question, ce que je ne fais pas souvent. Sinon, sur le plan général s’il y a bien une chose selon moi à ne pas confier à un artiste, c’est un rôle. Ce sont parfois des gens fascinants par leur singularité, pour ce qu’ils synthétisent parfois d’une société, pour ce qu’ils contestent ou par ce qu’ils éveillent par leur simple présence. Ce sont parfois juste des gens qui font des œuvres hyper belles qui t’emmènent, c’est très modeste et cela suffit. Je n’ai pas de prétention ou d’idée sur ce que doit être un artiste dans le monde d’aujourd’hui mais j’ai une petite idée de ce que j’aimerais procurer aux autres s’ils se projettent dans ma musique.
On sent chez vous une certaine défiance face au terme d’artiste.
Yann Tambour : C’est vrai, j’aime plutôt me voir comme un artisan. C’est peut-être idiot mais je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu exclusif et prétentieux dans le terme d’artiste qui me déplaît. L’état d’exception que l’on octroie à un artiste dans la perception sociale du truc c’est quelque chose qui me gonfle totalement. Parce que vous faites de la musique, parce que vous sortez des disques, certaines personnes vous regardent différemment. Je crois que certains artistes aiment se conférer ce statut et sont ravis d’être perçus ainsi. Moi au contraire, cela me saoule. Après, je sais que je fais quelque chose de bizarre. Quand quelqu’un me demande ce que je fais, j’explique que je fais de la guitare et de la kora et je change de sujet, je n’ai pas du tout envie d’en parler. Pourquoi ? Je ne sais pas. Est-ce que je ne l’assume pas ? Ce que je n’assume pas, ce n’est pas ce que je fais mais plutôt ce qu’immédiatement cela évoque chez les gens. J’en veux presque parfois à ceux qui entretiennent ça parce que cette distance n’est pas nécessaire. Ce n’est vrai que lorsque l’on sort du milieu musical ou artistique plus largement, évidemment, et pas toujours, heureusement.
Mais je vis où évolue volontairement dans un cadre où tout cela n’existe pas trop. Et donc, je parle très peu de mon travail, juste à quelques personnes, et en général uniquement de l’aspect terre à terre du truc. Mais je crois également que c’est quelque chose qui est en train d’évoluer. C’est moins sacralisé tout ça de nos jours. En tout cas moi, je suis juste quelqu’un qui fait ce qu’il fait parce que ça l’obnubile, et qu’il ne sait pas faire autrement. J’ai la chance d’en vivre, je génère les conditions pour le faire. J’en vis sans que cela soit faramineux ni trop modeste. J’ai la chance d’avoir une véritable régularité là-dedans. J’entretiens un rapport très terre à terre à tout cela. C’est en cela que cela se rapproche de l’artisanat. C’est comme façonner un truc, comme faire des meubles, l’intermittence en plus (rires).
Vous dites avoir adapté votre jeu à la Kora et pas l’inverse, vous êtes allé jusqu’à fabriquer votre propre instrument. Vous dites d’ailleurs ne pas en jouer de manière traditionnelle mais plus à la manière d’un Finger Picking. Ce serait quoi donc ce son de Kora à la manière de Yann Tambour ?
Yann Tambour : Ce que j’aime dans la Kora, c’est que c’est un peu un jeu de deux mains droites mais de toute façon, je ne suis pas un guitariste classique traditionnel non plus. J’ai appris à jouer certains morceaux un peu complexes, cela m’a apporté une certaine dextérité d’arpèges mais à côté de cela tout ce qui est théorie musicale et solfège, c’est très vite des choses qui ne m’ont pas intéressées. J’ai toujours préféré créer des choses cycliques qui me correspondent mieux et qui peuvent se rapprocher de certains postulats de la musique expérimentale parce que je ne joue pas seulement sur les notes et les arpèges, je joue aussi sur les textures, je joue aussi sur ma guitare dans la manière dont elle va créer des harmoniques via ses résonnances électriques, son feedback. Il y a aussi des choses dans le son, dans la manière dont j’appuie. A la Kora, c’est pareil, j’ai une approche qui, dans ma tête, va dans le prolongement de ce jeu atypique un peu scolaire ou conventionnel. Je suis plus dans une approche de l’Arpège, de l’harmonie et des cycles parfois sur un principe un peu analogue au drone, même si ça paraît étrange. C’est un aspect de mon jeu, l’autre se situant plus dans des petites touches rythmiques avec des arpèges un peu complexes, des changements et des modulations qui sont bien à moi, que j’essaie encore une fois de rendre les plus personnelles possibles. Ce n’est pas de la pose. J’ai juste un attachement à développer ma musique en dehors des codes. J’aime marier des trucs impossibles, par exemple j’ai une espèce de mariage un peu élastique ternaire/binaire sur certains morceaux notamment sur Jolting Moon sur Humbling Tides, où je ne suis jamais vraiment dans l’un ni dans l’autre.
Quand les gens jouent avec moi, ils disent que c’est un peu « Rubato » quand je joue de la Kora en particulier cet aspect élastique de mon jeu, on a appris à se suivre avec Boubacar sur ce mode. Cette poursuite permanente c’est vraiment un truc à nous. C’est ça que m’a apporté la Kora, et ça a par la suite déteint sur mon jeu de guitare. Ca part de cette idée de flux et de reflux. J’ai un peu quitté la grille rythmique pour aller vers un truc qui respire plus. J’étais très inspiré à l’époque par l’idée de l’instant, d’épouser le moment. Tous les silences et toutes les respirations n’étaient jamais les mêmes car pour moi, cela devait être un truc très ressenti. Cette élasticité, j’ai commencé à la greffer à mon jeu de guitare, à trouver des motifs pour que cela fasse cet effet de vague. C’est quelque chose que j’ai utilisé dans des ciné concerts par exemple, ca me permet de suivre les scènes de manière progressive. Comme pour le reste, je ne me pose pas la question de comment jouer de la Kora en respectant la tradition mais davantage de répondre à une logique qui m’est totalement personnelle. Cela ne m’empêche pas d’en apprendre davantage sur l’instrument, sa fabrication, sur son contexte culturel, et si je ne me permets pas de me frotter à la tradition c’est aussi par respect pour elle et l’imprégnation qu’elle implique.
On fait parfois une scission un peu hâtive entre Encre et Stranded Horse, j’ai l’impression que Stranded Horse continue un peu dans la même veine, dans les motifs répétitifs avec quelque chose qui vient aussi un peu de la musique électronique.
Yann Tambour : Oui peut-être, j’ai sans doute développé des réflexes. Certaines musiques électroniques, les musiques expérimentales ou dites répétitives, (je pense à Terry Riley par exemple) ont des structures parentes de celles que j’emploie dans mon travail par moment. Cette structure d’arpèges un peu complexe, ces particularismes, je les ai proviennent de questionnements entamés à la période de Encre, il sont parfois échafaudés de manière analogue. J’aime bien utiliser le contre-temps, mettre des temps là où on ne les attend pas. Après, je ne veux pas trop analyser ce que je fais techniquement, cela ne m’intéresse pas. Moins je m’explique ce que je fais, mieux je le fais à mon sens. Moins je me l’explique et plus j’ose des choses. Ce dont j’avais envie quand j’ai recommencé à jouer d’instruments acoustiques c’était un truc plus sensoriel, plus charnel, plus direct dans l’instant et dans le corps. C’est pour ça que j’avais voulu à l’époque d’Encre tout réécrire en groupe pour la scène. Je me disais que sinon, balancer des séquences sur scène, le résultat aurait été chiant. Je voulais vraiment que tout le monde donne du sens, et de l’énergie, qu’ils puissent réécrire à leur manière pour mieux incarner les morceaux, du coup les versions live étaient très différentes. C’était un peu farfelu et cela nous a pas rendu service non plus car c’était en décalage total, des réflexions genre « C’est un groupe ? C’est pas un groupe ? ».
Encore hier, j’ai eu un échange avec quelqu’un qui me demandait si je jouais dans Encre, je lui ai répondu « Ben, non, en fait Encre c’est moi. » Quand je dis ça, les gens se disent « Il se prend pas pour de la merde celui-là ? » (Rires). Donc j’explicite « Ben, sur album, c’est pas un groupe, C’est juste moi qui fait de la programmation à la maison à partir de samples et de banques de sons». Je passe pour un branleur qui s’approprie le truc. Après, sur scène, tu voyais des gens, donc c’est compliqué. Je crois que j’ai le chic pour me mettre dans des situations comme ça. En tout cas, il y a clairement une logique commune entre les deux projets, une continuité de démarche, c’est sûr qui n’est pas évidente à l’oreille car pour le coup, dans les outils, les choix de production, ce n’est pas lisible tout de suite. Il faut s’intéresser à la chose dans le détail pour tracer des corrélations et elles ne sont pas forcément évidentes pour tout le monde car tout le monde ne s’intéresse pas forcément aux mêmes aspects de la musique. Le point commun est en tout cas un truc bien tarabiscoté (rires) !
Autant on avait l’impression qu’avec Encre, nous étions face à un projet solo sur disque, autant avec Stranded Horse, la notion de groupe et de collaboration semble de plus en plus prégnante. Qu’en pensez-vous ?
Yann Tambour : Autant sur Luxe, c’est comme s’il y avait plusieurs groupes sur le disque, onze personnes ont travaillé dessus. Il y avait Vacarme qui ne s’appelait pas encore Vacarme, Christelle Lassort, Carla Pallone et Gaspar Claus se sont rencontrés sur mon invitation suite à une résidence d’écriture que nous avons fait ensemble au TNT à Toulouse. Vacarme est née d’une mauvaise huître, je m’explique. Durant cette résidence, j’ai mangé des huîtres qui n’étaient pas fraîches et je m’en suis sorti avec une belle intoxication alimentaire. J’ai été malade pendant les trois jours de résidence, ils ont dû se démerder seuls pour travailler et c’est de là qu’est né Vacarme. (Rires)
Ce trio a été important sur le disque, la collaboration avec Bouba a été essentielle également même s’il n’est présent sur tous les titres, la collaboration avec Eloïse Decazes est importante aussi. Certains arrangements ont été écrits à Dakar, (balafon, riti, kora), ainsi que la plupart des duos kora/kora et kora/guitare. Luxe, c’est vraiment un disque de collaborations multiples. Sur Grand Rodéo, vous avez un seul groupe qui crée l’esthétique. J’arrive en général avec les couplets refrains et des motifs de guitare ou de kora qui donne l’impulsion, puis ensuite on y adosse les rythmes et les arrangements pour les amener ailleurs. La grosse différence, c’est que j’ai écrit ces titres avec les compétences de chacun en tête avec une esthétique globale dont on avait discuté préalablement, dans un coin de ma tête. Luxe, c’était plus, « Tiens, j’ai écrit ça, amenons-le ici, advienne que pourra ».
Là je me projetais avec un groupe dont je connaissais bien les caractéristiques et son aptitude à me faire aller là où je n’étais pas encore allé. Sébastien Forrester a un panel de rythmes très riche, il nous a amenés dans plein de directions différentes. Boubacar a l’écriture quasi immédiate dans Stranded Horse, on a tellement joué ensemble qu’il sait tout de suite quoi faire. Miguel Bahamondès-Rojas, pour le coup, c’est multi-instrumentiste du groupe. Il fait à la fois les cordes, les claviers, les chœurs et le café, souvent. Carla Pallone a aussi fait un arrangement car c’est avait elle que je travaillais quand j’ai entamé les premiers morceaux de l’album. Mais ensuite, on a eu des soucis d’agenda sur la principale résidence de création et c’est Miguel qui s’est joint à nous. Comme on faisait le gros de l’album pendant cette résidence, Miguel est devenu l’un des trois arrangeurs principaux. La grosse nouveauté entre moi et Miguel c’est ce mélange de voix. On a découvert que nos timbre se mariaient hyper bien et fait beaucoup de duos de voix.
Sur les albums précédents j’ai souvent fait deux passages en studio, ai laissé mûrir le truc, le premier passage a souvent servi de maquettage. Sur Grand Rodéo, ce n’est pas le cas. On avait certes un peu maquetté avec mon pc et un carte son rapidos et quand on est arrivé en studio, on était déjà bien calé sur ce que l’on voulait. Paradoxalement, l’album a mis des plombes à sortir mais à partir du moment où l’on s’est mis à écrire, où je suis arrivé avec les morceaux, c’est arrivé très vite à sa forme finale. Ce qui a pris du temps ensuite, c’est de fignoler les prises de voix, d’affiner certains textes.
Une vie comme une carrière est faite de rencontres, si je vous dis Bouba Kora, cela vous évoque forcément quelque chose ?
Yann Tambour : C’est une rencontre fondamentale, c’est quelqu’un avec qui j’ai pu tisser un univers depuis cette rencontre à Dakar. Il est hyper présent sur ces deux albums-là, il détermine beaucoup l’esthétique de ces disques. C ‘est aussi un fil conducteur entre Luxe et Grand Rodéo. C’est quelqu’un avec qui j’ai traversé beaucoup de choses jusqu’à ses premières venues en Europe, je l’ai aidé à y prendre ses premières marques, on a traversé beaucoup de choses ensemble, passé beaucoup de temps tous les deux. Pour le meilleur comme pour le pire, (rires). On est passé par toutes les réjouissances administratives des visas, des galères dont, pour certaines, on n’est pas encore sortis d’ailleurs. Je ne vous raconte pas comment cela a pu être problématique avec le Covid-19 pour l’enregistrement (plutôt d’un album à venir qui ‘on vient de mettre en boite, Grand Rodéo datant d’avant), comment nous sommes toujours pris dans de véritables casse-têtes : il ne peut rester qu’un certain temps car il est limité par des histoires de visa, il doit repartir puis revenir dans la foulée, c’est parfois absurde.
On est par exemple dans un raisonnement où l’on essaie de réduire l’impact carbone de nos tournées et en même temps, les lois sur l’immigration sont tellement aberrantes qu’on marche complètement sur la tête parfois. Il est obligé de prendre un avion pour un temps afin d’être hors espace Schengen et de revenir. Il pourrait très bien rester. On essaie de compenser comme on peut, mais on n’en est pas responsable pour le coup. Et puis je me refuse à opter pour une solution plus facile qui le mettrait sur le carreau tant qu’il a le désir de jouer dans le groupe. Il y a une fidélité dans cette collaboration. On a commencé ensemble, on continue. On pourrait se dire : « c’est compliqué comme organisation. Pourquoi ne pas jouer avec un koriste qui réside en Europe ? » J’ai des gens qui me l’ont suggéré. C’est fou. L’enjeu écologique est quelque chose de primordial à mon sens aujourd’hui, l’enjeu économique pour un projet comme le nôtre également mais cela ne doit en aucun cas se faire au détriment de la mobilité. Celle-ci, pour beaucoup de musiciens comme Boubacar et les familles qu’ils ont à charge est fondamentale et c’est quelque chose qu’on a le devoir moral de ne pas perdre de vue au milieu des problématiques actuelles, à mon sens. J’ai parfois très peur que cela passe au second plan. Ces problématiques sont parfois difficiles à faire comprendre d’ailleurs. Les gens n’identifient pas Stranded Horse comme un groupe international mais de facto par la présence de Boubacar, c’est le cas. Quand on doit tourner, il faut que l’on s’organise comme un groupe international parce qu’on a quelqu’un qui habite loin et que les concerts ne se passent pas trop sans lui. Je fais quelques exceptions, parfois je fais des duos sans lui, ou des solos. On essaie de ne pas trop le faire mais cela implique ces contraintes-là. On n’est clairement pas un groupe qui peut jouer tous les Week ends.
Parler de Stranded Horse, c’est forcément évoquer la culture Mandingue. Qu’a-t-elle de si riche cette culture-là et en quoi vous y reconnaissez-vous ?
Yann Tambour : Encore une fois, je ne m’identifie pas à la culture Mandingue, la culture Mandingue, elle est là autour de l’instrument que j’ai choisi d’utiliser pour faire cette chose qui me parle. Je la connais un peu et surtout à travers Boubacar Cissokho qui m’en parle beaucoup car lui en est vraiment imprégné. Il a cet héritage. En tant qu’individu, je n’ai pas de rapport personnel avec cette culture. M’y reconnaître ce serait déplacé. C’est quelque chose qui a trait à l’historique de la Kora, aux gens qui en jouent, au rôle social qu’il a dans les rituels. Je ne peux pas dire que j’y participe, cela n’a rien à voir. Par contre, je fréquente des musiciens très imprégnés de cette culture. La culture Mandingue, d’un point de vue géographique, cela correspond à tout cet espace de l’ancien empire Mandingue. C’est l’Afrique de l’Ouest, cette grande ligne du Mali jusqu’à la Gambie, un bout de la Mauritanie et des Guinées. Il n’a pas couvert le même territoire au fil de l’histoire. Il y a énormément d’ethnies en Afrique de l’Ouest, les mandingues existent sur une grande partie de ce territoire, parlent souvent une ou deux langues locales et le mandingue. Boubacar par exemple, parle le Bambara car il a vécu au Mali, il parle le Wolof car il a grandi au Sénégal et puis il parle le Mandingue avec les Mandingues qui parlent une autre langue locale.
Ce type de culture peut être intimidante par son caractère vaste. Auriez-vous des voies d’entrée à nous proposer ?
Yann Tambour ; Je crois que s’il y a un disque essentiel, c’est sans aucun doute Nouvelles Cordes Anciennes (1999) de Toumani Diabate et Ballake Sissoko qui peut être une bonne voie d’entrée car la production est assez « moderne ». Ensuite, vous avez Cordcs Anciennes (1970), le pan fait par les pères de Toumani et Ballake à la base qui est un très beau disque aussi. C’est un disque enregistré par Sidiki Diabaté, Batourou Sékou Kouyaté, Dejlimadi Sissoko et N’Fa Diabaté qui a influencé énormément d’autres musiciens ensuite. J’écoutais beaucoup de musique Mandingue il y a dix ans quand j’ai commencé à m’intéresser à la Kora, je m’en suis éloigné depuis.
Eloïse Decazes du groupe Arlt avec qui vous avez collaboré sur Luxe en 2016 parlait en ces termes de vous : J’aime sa musique. Mais je ne suis pas là pour la transformer, la déplacer. Dans mes autres projets, j’ai un partenaire avec qui j’essaie de dialoguer, dont j’essaie de perturber un peu les propositions. Dans le travail de Yann, j’aime interpréter une partition, sa partition. Je me mets à son service. C’est une différence qui est importante pour moi. Et vous que cherchez-vous dans une collaboration que ce soit avec elle ou encore Carla Pallone ou encore Gaspar Claus ?
Yann Tambour : C’est vrai qu’Eloïse décrit bien le truc sur ces morceaux. On n’est pas vraiment dans une collaboration, on en fera peut-être une à l’avenir. On pourrait très bien se retrouver à collaborer à parts égales mais en l’occurrence, elle est venue là sur des trucs que j’avais écrits, écrits pour elle. Ce sont des morceaux que j’ai écrits suite à des conversations que j’ai eues avec elle mais c’est clairement moi qui ai écrit. J’avais des idées précises de mélodies. C’est vrai que clairement sur ces morceaux, elle a plus un rôle d’interprète. Dans ma tête, j’imaginais ces duos comme une espèce de mise en scène avec deux personnages qui se répondent.
Pour Gaspar et Carla (et Christelle), ce sont des arrangeurs, lorsque l’on a travaillé ensemble ils m’ont fait des propositions, j’ai pu donner des orientations par moments, ou valider et demander de modifier des choses, peut-être, mais très peu, mais en termes d’écriture, c’est clairement un travail créatif qui leur appartient et donc d’une autre nature.
Pour ce nouveau disque, Grand Rodéo, vous êtes signé sur le label de Nancy, Ici D’Ailleurs. Comment s’est faite cette rencontre ?
Yann Tambour : Cela fait des lustres que l’on se connaît, que l’on se voit et que l’on se rencontre. Je crois bien que la connexion s’est faite via Matt Elliott qui est signé sur Ici D’Ailleurs et qui est un proche de Stéphane Grégoire, le patron du label. On a beaucoup tourné ensemble avec Matt Elliott notamment lors de la sortie du tout premier 45 tours de Stranded Horse, on a quasiment fait un mois de tournée tous les deux en Angleterre en 2005. En fait on était trois car on a fait une partie de la tournée avec Chris Cole de Manyfingers. Stéphane Grégoire m’avait déjà proposé de sortir des trucs et ça s’est concrétisé avec Grand Rodéo.
C’est Rigolo car en terme d’esthétique, je trouve Encre peut-être plus proche de l’esthétique que l’on esquisse hâtivement du label Ici D’Ailleurs. Qu’en pensez-vous ?
Yann Tambour : Peut-être, je ne suis pas sûr car je crois qu’Ici D’Ailleurs est un label qui n’a pas une esthétique très homogène. Stéphane Grégoire va chercher les choses un peu partout et il ne tient pas compte des chapelles. C’est plutôt les coups de cœur qui le guident. Il n’ a pas d’a priori ou d’esthétique figée en tête. Peut-être que si vous rapprochez Encre de musiciens comme Pascal Bouaziz et Mendelson, Michel Cloup ou Arnaud Michniak, c’est vrai que le parallèle est pertinent en terme d’esthétique générale. Après, je crois qu’Ici D’Ailleurs, ce n’est pas que ça. Prenez encore une fois Matt Elliott, il y a une certaine proximité avec Stranded Horse pour le côté folk et acoustique.
La crise liée à la pandémie du Covid-19 a-t-elle eu un impact sur l’élaboration de Grand Rodéo ou le processus de composition est-il en soi un acte hors-le-monde chez vous ?
Yann Tambour : Tout le processus s’est fait avant le Covid, donc en soit, le Covid n’a pas eu d’incidence sur la composition ou l’enregistrement. On a connu beaucoup plus de soucis après, un exemple quand on a voulu filmer nos clips, on a connu la galère de faire venir Boubacar en Europe, pour les sessions photos également. On a fini par arriver à se coordonner pour le faire venir non sans mal au milieu de la période où c’était quasiment impossible. Il a pu avoir un laisser-passer parce qu’il participait à un événement qui s’appelait Africa 2020. On en a profité aussi pour enregistrer l’album qui arrive, un disque quasi fini. L’histoire de Grand Rodéo est assez spéciale car en fait, j’ai écrit un autre album avant qui n’est pas encore sorti. J’ai beaucoup travaillé autour de la musique de La Réunion, je m’y suis rendu trois fois. J’ai commencé un travail avec des musiciens sur place. Le problème c’est que j’ai déjà un ami musicien à Dakar, rajoutez-y d’autres musiciens à l’autre bout du monde. Cela rend le projet impossible à faire fonctionner.
Pour un tas de raison, j’ai remonté ce groupe ici avec des musiciens qui maîtrisent la musique réunionnaise et cela a crée un certain décalage de temps. On a fini par privilégier l’album sur lequel j’étais moins avancé qu’est Grand Rodéo, on a mis l’autre un peu de côté jusqu’à ce qu’on l’enregistre tout récemment, dès qu’on a pu faire venir Boubacar. Il ne me reste que quelques voix à poser. Je crois que Grand Rodéo va être également impacté au niveau de sa tournée car on est face à un grand embouteillage au niveau des concerts, cela s’explique aisément. Les gens qui ont sorti un disque il y a quelques mois ne commencent à tourner que depuis peu. On va devoir attendre que ces embouteillages se résorbent pour pouvoir entamer les nôtres. Au début c’était complètement bloqué, cela commence à s’ouvrir un peu.
Quels souvenirs conserverez-vous de cette période et pensez-vous qu’il y aura un monde d’après le Covid 19 ?
Yann Tambour : Oui, c’est sûr qu’il y aura un monde d’après mais je ne le trouve pas très enthousiasmant. Cela a eu pour effet de diviser encore plus. Nous sommes vraiment dans un monde clivé à tout point de vue et à tous les étages autour de thématiques qui m’intéressent peu. Les débats sur le Covid et autres trucs nauséabonds me saoulent, c’est l’apanage de quelques personnes qui ont la parole. Je crois que la grande majorité des gens éprouve ce que je ressens. Je crois qu’être dans son monde et se tenir à l’écart, c’est une attitude qui a beaucoup de vertus. (Rires). J’en ai clairement plus envie que d’habitude. Cette période a eu le mérite de réveiller pas mal de monde sur les problématiques environnementales ou écologiques. C’est un truc auquel on s’est intéressé depuis longtemps dans le groupe, on essaie de mettre en place des choses. Nous sommes dans des situations économiques tellement bancales en ce moment que cela rend toute possibilité de décision ou d’initiative très compliquée pour tout le monde. Je crois que le monde d’après va dépendre de l’aboutissement de certains questionnements, il est encore en suspens mais ce que l’on en voit poindre pour le moment n’est vraiment pas enthousiasmant. A chaque fois qu’il y a dans la balance un truc effrayant et un truc enthousiasmant qui pourrait prendre le dessus, c’est toujours le truc le plus merdique qui passe, c’est vraiment décourageant par moment. L’équilibre des forces est pas super sympa avec les gens de mon bord, j’ai envie de dire.
Le souvenir que je conserverai du Covid, c’est de sentir le monde à l’arrêt, même à la campagne. J’ai vécu le premier confinement dans la maison de mon enfance. C’est un endroit très calme mais il y a habituellement une route à côté avec des voitures qui passent en bas, on ne l’entend pas beaucoup, mais j’ai vraiment le sentiment d’avoir réalisé qu’il y avait des voitures qui passaient justement parce que tout à coup, je ne les ai plus entendues. Une sorte de chape de plomb un peu post-apocalyptique, c’était impossible d’y échapper. Pour ma part, j’étais dans un contexte ultra-privilégié, je n’ose imaginer ce qu’ont vécu les gens dans un contexte urbain sans accès possible à l’extérieur et la nature. Je connais des gens qui en ont conservé des séquelles profondes
Vers quoi souhaitez-vous mener votre musique à l’avenir Yann Tambour ?
Yann Tambour : J’ai ébauché des collaborations, c’est très embryonnaire pour l’instant. Je lance des pistes de création pour entamer un nouveau travail. J’ai tendance à ne pas embrayer vite derrière et là j’ai envie de recommencer plus vite que d’habitude.
Entretien réalisé par Greg Bod en novembre 2021
Grand Rodéo est sorti le 17 septembre dernier chez Ici D’Ailleurs.
Retrouvez notre critique du disque ici.
Retrouvez la première partie de notre entretien ici.
Un immense merci à Yann Tambour pour sa grande disponibilité et à Jean-Philippe Béraud pour avoir permis cet échange.