Même s’il consacre beaucoup de temps désormais à regarder vers l’arrière pour construire ses fameuses Archives, Neil Young a trouvé le temps de rejoindre son équipe de Crazy Horse, et de nous offrir Barn, dont l’évidence musicale est tempérée par une combativité politique croissante.
« Lookin’ through a wavy glass window / In this old place by the lake / In the colors of the falling leaves / I see that nature makes no mistake » (En regardant à travers une vitre ondulée / Dans ce vieil endroit au bord du lac / Aux couleurs des feuilles qui tombent / Je vois que la nature ne se trompe pas)… (Song of the Seasons)
Crazy Horse, c’est-à-dire Nils Lofgren (qui remplace donc à nouveau le fidèle Frank Sampedro, sans qu’à notre connaissance une explication en ait été donnée), Billy Talbot et Ralph Molina, ont retrouvé encore une fois leur patron, Neil Young, pour enregistrer un autre possible « dernier » album – puisqu’on avait déjà pu croire que Colorado serait le chant du cygne du groupe… Barn, ainsi nommé parce qu’il a été enregistré dans une grange, dans des conditions de semi-improvisation à partir de nouvelles compositions de Neil Young, est donc le quarante-et-unième album studio du Loner, et son quatorzième avec Crazy Horse. Et c’est l’un des moins surprenants de tous, parce que, une fois passée l’intro, bucolique, acoustique, de Song of the Seasons, qui a tout d’une fausse piste, Barn ne saurait être plus « millésimé Crazy Horse » qu’il ne l’est : il nous propose l’alternance habituelle de chansons flemmardes et désordonnées aux obédiences country rock et de brûlots électriques rocailleux, traversés de ces soli de guitare que l’on aime depuis si longtemps. Avec à chaque fois de claires réminiscences de morceaux déjà entendus auparavant…
Il est donc tout-à-fait admissible de trouver que Barn, même si la bande à Neil jure s’être sentie touchée par la grâce au cours de ces sessions, manque franchement d’originalité. Mais ce serait dommage de s’arrêter à cette première impression, parce que, à la réécoute, on repère au moins deux grandes chansons qui, à elles seules, justifient l’album : They Might Be Lost, à la mélancolie magnifique, et surtout les huit minutes électriques de Welcome Back, où la guitare de Neil semble parler directement à notre âme. Mais le plus important n’est peut-être pas là. Le plus saisissant dans Barn, c’est de réaliser combien la conscience écologiste de Neil Young s’est désormais métamorphosée en rage, et en un pessimisme noir quant à l’avenir que la race humaine se réserve.
Car ce n’est pas parce qu’on a presque 80 ans et qu’on est arrivé à un âge où l’on préfère se replonger dans le passé (… par exemple pour construire ces fameuses Archives !), où l’on aime jouer tranquillement de la musique entre potes dans une vieille grange en pleine nature et y admirer la beauté d’un soleil couchant, qu’on est devenu forcément un « vieux con » ! La charge de Neil Young contre les partisans des énergies fossiles, contre les conspirationnistes et contre les égoïstes de tout poil, sur Change Ain’t Never Gonna le montre affrontant l’impossibilité de plus en plus flagrante d’un changement – pourtant indispensable – du comportement de la majorité de ses compatriotes : « Yeah, the government said / They had to get new cars / Leave those fuel burners / And they went to Mars / They turned on everyone / For being so controlling / And takin’ away the freedom / They had always been knowing » (Oui, le gouvernement leur a dit / qu’ils devaient acheter de nouvelles voitures / Arrêter avec ces brûleurs de carburant / Alors ils sont allés sur Mars / Ils ont attaqué tout le monde / En dénonçant le contrôle / Qui leur enlevait cette liberté / Qu’ils avaient toujours eue.). Un pessimisme combattif qu’il réitère sur Human Race : « Today no one cares / Tomorrow no one shares / Because they all / Will be gone but the children… » (Aujourd’hui personne ne s’en soucie / Demain personne ne partagera / Parce qu’ils seront tous / Partis, sauf les enfants…)
Dans le fier – et politiquement engagé – Canerican (soit « Canadian » + « American »), il revient sur le fait que, né Canadien, il est devenu Américain avant tout pour jouer du Rock, et qu’aujourd’hui (alors qu’on se souvient qu’il y a eu une brève période de sa vie où il a flirté avec les Républicains) sa position est claire : « I am all colors, all colors is what I am / I stand beside my brother / For freedom in this land » (Je suis de toutes les couleurs, toutes les couleurs c’est ce que je suis / Je me tiens à côté de mon frère / Pour la liberté dans ce pays).
Barn se conclut, presque contre toute attente, par un Don’t Forget Love presque joyeux, mais cet optimisme semble artificiel. Cette dernière chanson aura du mal à nous faire oublier que, en dépit de la Beauté de la Nature autour de la grange, malgré l’amitié qui lie les membres de Crazy Horse depuis 1969 et qui leur permet de jouer encore ensemble après tout ce temps, et même si son inspiration musicale ne se tarit toujours pas, Neil ne se fait plus guère d’illusions quant au chaos du monde, ni à son avenir.
Eric Debarnot