Sylvain, c’est le cancer contre lequel Maman lutte. Sylvain, c’est un livre de Lucie Albrecht qui raconte avec justesse, délicatesse et précision, la lutte d’une famille contre les affres de maladie et du deuil.
Maman a le cancer. Pour l’affronter en famille, cette sale bête, on a décidé de l’appeler Sylvain. Pas sûr qu’on ait choisi le bon prénom, parce que plus on lutte contre lui, plus il semble devenir fort.
Maman est morte, malgré ma chimio, malgré la rémission temporaire. Papa galère pour gérer tout seul la maison et sa petite famille. Tous les jours, il ne sait que préparer des nouilles. Sans sauce. Et au dessert, des yaourts. La tristesse de la perte de Maman est partout, qui engourdit la vie. Mais, petit à petit, cette chienne de vie, il faut bien qu’elle reprenne. Que Charlotte, adolescente youtubeuse affronte quand même les changements de son corps, et qu’elle tombe amoureuse, c’est de son âge. Que Romane, sa grande sœur, reprenne le courant de sa vie. Que le souvenir de Sylvain, ce monstre noir avec ses tentacules envahissants, s’efface pour que celui de Maman, et celui des beaux moments qu’on a passés ensemble, triomphent.
Sylvain est un roman graphique, un roman autobiographique peut-être (ou pas…), l’histoire banale d’une vie de famille dévastée par un visiteur inattendu, qui n’était pas le bienvenu. Le livre de Lucie Albrecht – son second après Bruits de Couloirs, sur le thème du harcèlement à l’école – semble de prime abord simple, avec ses dessins sans contours à la parfaite lisibilité, sa mise en page qui ne paraît pas se perdre ni dans les détails, ni dans la virtuosité narrative. Et puis le choix de la gouache, en noir et blanc, en gris surtout, sans doute parce que la vie au temps de Sylvain n’a plus guère de couleurs. Pourtant, derrière la – fausse – simplicité de Sylvain, naît peu à peu une profonde émotion : cette famille qui se bat contre les idées noires, qui s’accroche à des souvenirs d’une autre époque plus heureuse, et qui peu à peu, reprend le dessus sur la chiennerie de l’existence, c’est la nôtre. Que nous ayons malheureusement connu nous-mêmes une telle épreuve – un drame tellement ordinaire et pourtant tellement cruel -, ou que nous en ayons été seulement témoin, il est impossible de ne pas en ressentir la violence.
Et à la fin de ces 216 pages, subtiles et pourtant très fortes, qui ne sombrent jamais dans le pathos – un travers dans lequel il est tellement facile de tomber sur un tel sujet – le travail de deuil n’est pas terminé, mais il est bien engagé : chacun relève la tête, la famille a tenu le choc. La vie continue.
Eric Debarnot